Bernard Jouan : «  La Bretagne devrait s’inspirer de ce qu’elle sait des Suds pour se remettre en question »

Bernard Jouan : «  La Bretagne devrait s’inspirer de ce qu’elle sait des Suds pour se remettre en question »
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Cela fait un demi-siècle que Bernard Jouan, agronome breton, s’investit dans la solidarité internationale. L’aventure a débuté en 1965 lorsque Bernard, incité par sa femme Marie-Pascale, a monté un dossier de coopérant au lieu de s’engager dans l’armée. C’est au Niger que Bernard a été envoyé et c’était là ses premiers pas sur la terre africaine. Durant deux ans, il a participé à une mission d’agro-développement local, avec le CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le développement), au cours duquel il a, en plus de son activité de recherche-développement, réalisé un inventaire des maladies qui affectent le mil et le sorgho.

 

Des compétences professionnelles au service de la coopération internationale

 

De retour en France, Bernard s’installe à Pacé, commune située au nord de Rennes, avec sa famille et reprend son travail à l’INRA. Arrivé dans l’institut en tant qu’agent contractuel scientifique, il a, avec son équipe, accueilli dans son laboratoire des étudiants et doctorants des quatre coins du monde tout au long de sa carrière qu’il termine en tant que directeur de recherches de 1ère classe. « Je me suis porté tuteur de thèse pour de nombreux étudiants étrangers, surtout africains. », rapporte Bernard. La pathologie végétale, il en a fait sa spécialité : d’abord sur la Betterave, puis sur la Pomme de terre. Ce tubercule, originaire d’Amérique du Sud et cultivé en Europe depuis le début du XVIIème siècle, est très peu gourmand en eau (50 litres pour un kilogramme produit) et possède d’excellentes qualités nutritives (notamment riche en amidon). L’agronome y a vu alors un formidable potentiel dans la lutte contre la faim par l’auto-suffisance alimentaire : « La Pomme de terre avait déjà fait ses preuves en sauvant la France de la famine vers la fin du XVIIIème siècle. », rappelle-t-il. Bernard s’investit alors dans de nombreuses associations de solidarité internationale, notamment sur des actions au Sahel et propose aux étudiants, agronomes et paysans de travailler au développement de la filière Pomme de terre. Les connaissances croissantes qu’il a tiré de ses travaux à l’INRA lui ont permis d’améliorer continuellement l’implantation et la production du tubercule. En 1984, il entre dans le conseil d’administration de l’AERP (Association Européenne pour la Recherche sur la Pomme de terre) qu’il présidera de 1990 à 1993.

 

De l’engagement associatif local à la solidarité internationale

 

Dès son arrivée à Pacé, Bernard s’est investi dans la vie associative de la commune et a participé avec d’autres bénévoles à la vie de la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture), où il animait un club nature. En dehors de la commune, il a rejoint plusieurs associations de solidarité internationale et s’est engagé tout particulièrement dans la création de la délégation Bretagne d’Agro Sans Frontière (ASF). « C’est arrivé un peu par hasard, explique Bernard, j’assistais à une réunion d’agronomie lorsqu’un ancien collègue m’a proposé de créer une délégation bretonne pour l’association ASF ». Entre 1983 et 1984, une période de forte sécheresse frappe le Mali et les conséquences sur la production agricole engendrent une grave famine. L’agronome s’implique alors dans l’intervention au Mali que conduit le département de l’Ille-et-Vilaine et dont donnera suite l’AIVM (Association de jumelage Intercommunal entre l’Ille-et-Vilaine et la région malienne de Mopti). Cinq ans plus tard, il fait partie de la municipalité, qui à l’initiative du maire de l’époque (F. Vénien) décide du jumelage de Pacé avec Konna (grande commune rurale de la région de Mopti). Bernard a présidé la CASI-Bretagne (Coordination des Associations de Solidarité Internationale en Bretagne) de 2010 à 2013 et est aujourd’hui membre d’une vingtaine d’associations bretonnes de solidarité internationale.

 
« On parle de solidarité internationale mais nous devrions plutôt parler d’échange international »

 

Pour Bernard, la solidarité internationale ne se traduit pas par un apport unilatéral : « On apporte des savoir-faire qui soutiennent le développement humain. La situation là-bas serait-elle pire si on y allait pas ? Pas sûr… Mais on s’enrichit beaucoup de ce qu’on apprend là-bas. Les populations du Nord s’enrichissent en expériences professionnelles et humaines. Un voyage touristique n’apporterait pas cela. C’est grâce à cela aussi qu’on réfléchit sur notre façon de vivre, qu’on remet en question notre agriculture. Cet engagement nous permet donc de voir les problèmes du monde dans une autre dimension. Certains partis politiques nous accusent d’utiliser l’argent public des Français pour rien. Mais ils ne prennent pas la question dans le bon sens. On ne devrait pas parler de solidarité internationale mais d’échange international. » Si l’expérience en solidarité internationale permet à ses acteurs d’intégrer cet aspect, il n’est pas pour autant compris de tous : « Il y a un décalage entre le monde citoyen et politique. Les élus n’affichent que rarement la solidarité internationale dans leurs priorités. Pour eux, la solidarité doit toujours être locale. Aussi, les citoyens ne sont pas vraiment demandeurs malheureusement. Et puis d’une façon générale, pour le politique, la question du développement humain n’est jamais la préoccupation, ici comme là-bas. Beaucoup de décideurs du sud sont formés à la politique occidentale. Les questions d’autonomie et d’agriculture locale sont abandonnées. C’est aussi ce vers quoi tend le libre-échange international. », observe Bernard.

 

Selon vous, que serait une Bretagne durable?

« On ne peut pas dire que tout ce qui a été fait en matière de développement en Bretagne soit mauvais. Après la seconde guerre mondiale, les gens avaient peu de moyens et s’il n’y avait pas eu de développement la situation n’aurait pas évolué. En Bretagne, le développement humain a été mis en avant par divers organismes. Mais le développement a été très rapide et le contrôle de l’évolution nous a échappé. Je pense, par exemple, aux pesticides et à la destruction du bocage. Il faut dire aussi que la pression des commerciaux sur les agriculteurs a été énorme. C’est pourquoi nous devons insister pour que les acteurs du développement choisissent leur développement en connaissance de cause. Donc, pour construire une Bretagne durable, il nous faut d’abord reconnaître ce qui a été fait de bon et ce qui a été fait de mauvais. Il s’agira ensuite de trouver des organisations qui reprennent ce qui a été fait de bon pour le mettre en avant. Je pense que pour opérer ces changements, la Bretagne devrait s’inspirer de ce qu’elle connaît des Suds pour se remettre en question, individuellement et collectivement. »

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