A Morlaix, l’artiste-jardinier Tiphaine Hameau : « un humain du sensible et du geste compagnon de la plante »

A Morlaix, l’artiste-jardinier Tiphaine Hameau : « un humain du sensible et du geste compagnon de la plante »
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Il y eut au XVIIIe siècle en certains jardins aristocratiques, la mode du hameau d’agrément qui, nous dit l’encyclopédie libre en ligne wikipédia, « tout en adoptant une apparence rustique, n’était en fait que des « fabriques » (éléments d’architecture implantés dans le décor végétal d’un jardin), comme le hameau de Chantilly, ou le hameau de la Reine à Versailles. »

Mais quand le Hameau se fait homme, l’histoire jardinière s’en trouve bouleversée, en particulier celle des Jardins de la Manufacture des Tabacs de Morlaix ! Ceux-ci constituent en effet un héritage patrimonial d’un passé industriel de la ville dont les dirigeants de l’époque s’en réservaient alors l’usage exclusif.

Depuis cinq ans maintenant, ils sont confiés par Morlaix Communauté aux bons soins à la fois écologiques, esthétiques et poétiques de l’artiste-jardinier Tiphaine Hameau -auquel nous avions consacré un premier article et un entretien audio en décembre 2021*-, avec la volonté de les ouvrir à tout à chacun.e.

Dans le premier volet de ce triptyque d’articles publiés au cours de ce mois de septembre, nous vous invitons à découvrir ou mieux connaître Tiphaine Hameau, à la fois si singulier dans son rapport poétique à ce lieu qui l’habite véritablement, et si pluriel dans ces héritages et approches. Celles-ci constituant un entrelacs entre expressions d’une nature on ne peut plus observée, respectée et expressions d’artistes par elle inspirées. Ces dernières seront au coeur du deuxième volet, tandis que le troisième et dernier s’attachera aux pas d’étudiant.e.s en BTS Gestion et protection de la nature du lycée de Suscinio que Tiphaine accueille en stage, dans une volonté de transmission d’un rapport de bon compagnonnage aux vivants de ce jardin.

« La Manu et son jardinier », un documentaire consacré à Tiphaine Hameau sera présenté en avant-première mardi 17 septembre prochain, au cinéma morlaisien La Salamandre au cours d’un ciné-rencontre**, en sa présence ainsi que celles de Élodie Trouvé (réalisatrice), Anaïs Trouvé (cheffe opératrice et monteuse) et Marie Legras (productrice).

Tiphaine Hameau où l’art de resituer poétiquement le réel des jardins

Volet 1/ Autodidacte, Tiphaine Hameau revendique l’influence de Gilles Clément, à la fois jardinier, paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste, écrivain, dont il applique l’idée du laisser-faire dans une certaine mesure, ainsi développée par Gilles Clément:« Le jardin en mouvement privilégie les dynamiques dans l’espace, les changements de place des plantes, mais il n’interdit pas le travail du jardinier. On ne laisse pas tout faire. Dans un jardin, l’homme intervient, mais il fait avec la nature et non pas contre elle. Faire le plus possible en allant le moins possible contre les énergies en place. Les jardiniers savent depuis des siècles que la maîtrise de la nature est une illusion. La nature transforme et invente sans arrêt.» (https://reporterre.net/Gilles-Clement-Jardiner-c-est-resister).

Et puis il y a aussi et surtout l’influence de Liliana Motta, artiste-botaniste dont Tiphaine Hameau fut l’assistant. Voici ce qu’il en dit : « C’est auprès d’elle que j’apprendrai à lire le paysage, « à donner à voir » celui-ci. Le questionnement des invasives, des mauvaises herbes, cet arbitrage symbole de la main-mise de l’humain sur le devenir des êtres. Parmi les nombreuses découvertes, lors de mon assistance auprès de Liliana, la pensée de l’ethnobotaniste  Pierre Lieutaghi a enclenché un rapport décisif ; certes je suis pas ou peu pratiquant de la plante dans ses usages domestiques, médicinaux, symboliques mais ce que j’ai appris de La Plante compagne, son ouvrage de référence, a tissé des liens intimes ; « faire le plus possible avec et le moins possible contre », « Rien ne sort, tout se transforme », « Ne rien arracher à l’existant du paysage » ne sont-ce pas là des témoignages d’une volonté de partager l’espace, le temps, une volonté de cohabiter apaisée ; je formulerais volontiers l’idée d’être un jardinier – un humain du sensible et du geste – compagnon de la plante. Un compagnonnage mû par une pratique artistique du jardin. »

Cette intervention jardinière « minimaliste » ne laisse pas de surprendre, voire d’en bousculer certain.es , plus habitué.es à des espaces maîtrisés et « propres », c’est-à-dire sans « mauvaises herbes » ni « belles fleurs »! D’où la pertinence des visites guidées au cours desquelles Tiphaine explicite sa démarche.

De son apprentissage avec Lilana Motta, Tiphaine Hameau garde aussi le goût pour le land art et surtout l’Arte Povera.

Le premier, plus connu du grand public, est né de la volonté d’artistes de sortir l’art des musées et autres galeries pour lui faire prendre le bon air de la nature. Utilisant les ressources matérielles de cette dernière telles que branches et bois flotté, feuillages, galets et pierres, plumes et poils laissés par leurs propriétaires… les artistes interviennent sur l’espace et les composantes du paysage, leurs œuvres ayant un caractère éphémère.

L’Arte povera trouve quant à lui son origine dans un mouvement artistique italien au milieu du siècle dernier déterminé à répondre au productivisme par la sobriété, la simplicité.

« Attentifs aux traces, aux reliefs, aux plus élémentaires manifestations de la vie, les artistes de l’ Arte Povera et plus largement de « l’art pauvre » revendiquent des gestes archaïques. Les matériaux qu’ils utilisent sont souvent naturels et de récupération. La volonté de ces artistes n’est pas de faire de l’or avec de la paille ou des chiffons, mais d’activer un nouveau pouvoir symbolique des matériaux », précise Frédéric Paul, conservateur au Musée national d’art moderne de Paris, commissaire d’une exposition que le Centre Beaubourg consacra à l’Arte povera en 2016.

Tiphaine Hameau précise cependant : « De ce que j’ai perçu de ce mouvement, il me semble davantage lui appartenir qu’au land art dont les manifestations, notamment du côté américain du Nord, sont plus que critiquables si on interroge les procédés et l’impact de leur mise en oeuvre. On doit pouvoir trouver une articulation entre le faire le plus possible avec (l’existant en tout point de vue) et les ressorts de l’arte povera ; les « matériaux » à disposition ne sont pas nobles, ici dans le cadre de mes autres réalisations, oh paille de blé, d’orge, fagots de saule, vieilles briques, parpaings, cailloux, combien de fois vous ai-je regardé avec la plus grande des considérations!   Je songe également aux nouveaux réalistes que leur défenseur Pierre Restany avait défini comme un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire » ; il me semble pouvoir définir les tas d’herbes situés, notamment, comme un recyclage poétique du réel, sous-entendant de l’activité de jardinage, sous-entendant le réel d’un paysage donné dans lequel on se propose de faire jardin, dans lequel on tenter ce dialogue avec l’existant qui m’est cher. »

* Eco-Bretons s’était fait le plaisir de vous faire découvrir Tiphaine Hameau en décembre 2021 : (http://www.eco-bretons.info/rencontre-tiphaine-hameau-en-ce-lent-jardin/ et https://soundcloud.com/user-174646550/tiphaine-hameau)

** « Avant-première du film documentaire « La Manu et son jardinier ». Projection et débat, mardi 17 septembre à 20h30, au Cinéma la Salamandre à Morlaix, en présence de Tiphaine Hameau (artiste-jardinier), Élodie Trouvé (réalisatrice), Anaïs Trouvé (cheffe opératrice et monteuse) et Marie Legras (productrice. Quelques mots d’Elodie Trouvé, en résonance avec les nôtres : «Tiphaine Hameau est un artiste-jardinier autodidacte, qui réalise des jardins comme des œuvres-manifestes, dont il sublime les qualités écologiques et esthétiques. Comme si c’était le sien, celui qu’il n’avait pas encore. Depuis juin 2019, il fait renaître un lieu emblématique du Finistère et de la mémoire ouvrière de la ville de Morlaix : les jardins de la Manufacture royale des Tabacs de Morlaix. Dans ce jardin anciennement privé et longtemps laissé à l’abandon, il met en scène le moindre élément naturel oublié et entreprend un important travail de réaménagement pour une ouverture au public en ayant comme ligne de conduite : « Rien ne rentre, rien ne sort, tout se transforme ».

Cinéma La Salamandre, Sew – Manufacture des tabacs
39 TER quai du Léon, 29600 Morlaix

https://cinemalasalamandre.fr/la-manu-et-son-jardinier

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Laurence MERMET

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