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Les enjeux de la valorisation du patrimoine du XXe siècle : l’exemple du Pays de Morlaix

L’héritage du XXᵉ siècle occupe une place singulière dans le paysage culturel contemporain. Omniprésent, considéré comme trop récent ou trop banal, il peine à accéder à la dimension patrimoniale. Dans notre imaginaire, il symbolise en outre l’antithèse des défis actuels : la sobriété foncière et énergétique, les mobilités douces ou la mixité des fonctions. Dès lors, comment la valorisation du patrimoine du XXᵉ siècle permet-elle de comprendre et d’accompagner les enjeux urbains, sociaux, culturels et environnementaux du XXIᵉ siècle ? Le Pays de Morlaix, qui porte un projet de valorisation du patrimoine via son label Pays d’art et d’histoire, a centré sa réflexion sur cette problématique.

Connaitre et transmettre un patrimoine méconnu

Fruit de la croissance économique et démographique, de l’entrée dans la société de consommation et des nouvelles techniques de construction (préfabrication, nouveaux matériaux), l’héritage bâti du XXe siècle est considérable. Dans le pays de Morlaix, où foisonnent couleurs et ornements dans les enclos paroissiaux et belles demeures d’armateurs, la valorisation du béton et de la construction standardisée ne va pas de soi. Mais cet héritage est le témoin des grandes mutations du XXe siècle qui impactent notre vie quotidienne contemporaine : nouvelles formes urbaines, nouvelles échelles, omniprésence de l’automobile, innovations architecturales et profondes mutations sociétales. Ainsi, convaincu de l’intérêt de se pencher sur cette histoire récente, le Pays de Morlaix s’est engagé avec volontarisme dans la recherche et la transmission : recensement des éléments remarquables ou représentatifs d’une série, édition d’ouvrages1, visites guidées, conférences, collectages de témoignages et d’iconographie. Il s’est fixé comme principes majeurs d’expliquer l’émergence de phénomènes et de rappeler le contexte de l’époque pour éviter tout jugement a posteriori.

Saisir l’évolution des politiques publiques

En octobre 2025, le Pays de Morlaix proposait une visite guidée du complexe sportif des Carmes à Saint-Pol-de-Léon. Le caractère inédit de cette visite a suscité la curiosité d’un public plus habitué à découvrir le patrimoine médiéval d’exception de l’ancienne cité épiscopale. Que nous raconte cet espace encore jeune (60 ans), lieu de mémoire sportive, lieu de vie scolaire et de loisirs ? Il nous dresse un panorama de l’évolution de pratiques sportives mais aussi de la mise en œuvre des politiques publiques. La France de Pompidou diffuse des modèles architecturaux issus de concours. L’heure est à la centralisation et à la construction de masse dans une France sous-équipée. Les complexes sportifs évolutifs couverts (COSEC) fleurissent. Après la transition giscardienne, la décentralisation sous Mitterrand offre de nouvelles possibilités aux communes, avant que les années 90 consacrent la montée en puissance de l’intercommunalité symbolisée dans notre cas saint-politain par l’émergence d’un nouveau type d’équipement : le centre aquatique. Le panorama s’achève enfin par une forme contemporaine de l’action publique : le projet participatif (ici une structure de street workout). De L’Etat prescripteur au citoyen moteur, le cheminement est éloquent.

Se projeter sur la ville de demain : usages du bâti et formes urbaines

Parallèlement à l’élaboration de son Schéma de Cohérence Territorial (SCoT), le Pays de Morlaix jette un regard dans le rétroviseur afin de mieux comprendre les formes urbaines actuelles héritées en grande partie du siècle précédent. Dès lors, la valorisation du patrimoine du XXᵉ siècle n’est pas seulement une démarche de connaissance, elle devient un outil de prospective pour répondre aux enjeux de demain qu’il s’agisse de transition écologique ou de nouvelles formes d’habiter. Par des visites guidées de quartiers, le Pays de Morlaix met en lumière des formes urbaines caractéristiques des années 70 à 2000. Ces modèles, tels que les zones pavillonnaires, sont remis en cause aujourd’hui afin de réduire la consommation foncière. Rappelons ici que les lotissements furent à l’origine un outil destiné à limiter l’étalement urbain. Le paradigme s’est désormais inversé.

La lutte contre la consommation foncière passe aussi par une meilleure performance énergétique du bâti ancien et de nouveaux usages pour les bâtiments. L’isolation par l’extérieur est une réponse courante. Cependant, dans le pays de Morlaix comme ailleurs, cette technique aux multiples avantages provoque une perte de la qualité architecturale ou a minima de l’identité architecturale par la disparition visuelle de la modénature des façades. L’uniformisation qui en résulte tend alors à altérer l’harmonie de nos rues. Bien identifier le bâti d’intérêt est alors une démarche préalable essentielle.

« Un siècle si loin, si proche »

Notre rapport au patrimoine du XXe siècle est complexe. Il exerce une forme paradoxale d’attraction-rejet. Ce siècle, beaucoup l’ont vécu et le sentiment de nostalgie perturbe l’objectivité du regard. Mais la pédagogie, voire la prédication, est nécessaire pour une perception de la dimension patrimoniale. Ce constat se résume pleinement et simplement par la formule de Julien Kerguillec, élu délégué au patrimoine au Pays de Morlaix : « un siècle si loin, si proche »2.

La démarche de valorisation du patrimoine du XXe siècle est aussi facteur de cohésion sociale par la lutte contre la stigmatisation de certains quartiers. Il s’agit ainsi de d’expliquer que ces quartiers font partie intégrante de la ville et de son histoire. Cela contribue à la mémoire collective et favorise la participation des habitants dans les projets de transformation des espaces. Enfin, travailler sur le XXe siècle permet de diffuser une culture architecturale, phénomène essentiel pour comprendre son cadre de vie, permettre aux citoyens de mieux appréhender les projets et les enjeux, stimuler la créativité et renforcer le lien social.

Légendes des photos :

1. Visite guidée du quartier de Kernéguès à Morlaix, 2025.

2. Maisons gradins-jardins, Morlaix, M. Andrault et P. Parat (ANPAR), 1974-1978.

3. Gymnase du complexe sportif des Carmes, Saint-Pol-de-Léon, R. Beauvir, F. Le Saint, 1974.

4. Maisons castors de la cité Ty Dour, Saint-Pol-de-Léon, 1950.

5. Centre nautique de Carantec, G. Le Lann, 1976.

1 L’habitat au XXe siècle dans le Pays de Morlaix et Sports et jeux au XXe siècle dans le Pays de Morlaix.

2 L’habitat au XXe siècle dans le Pays de Morlaix, 2023, édito p.2.

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