Tous des Sauvages – Regards sur la différence, une expo-remède qui avait la banane* !

Tous des Sauvages – Regards sur la différence, une expo-remède qui avait la banane* !
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Outre ses indéniables atouts – belle et créative scénographie, richesse des pièces présentées issues de collections ethnographiques variées, qualité du parcours pédagogique interactif, son franc succès est récemment entré en résonance particulière avec une affligeante et pour tout dire révoltante actualité de ces dernières semaines. Celle-ci a vu en effet une ministre de la République essuyer des injures racistes, vitrine visible d’un racisme ordinaire inacceptable dont sont encore victimes au quotidien beaucoup de personnes, et que l’on aurait surtout tant aimé ne jamais voir rejaillir des soutes nauséabondes de notre histoire. Alors saluons la prise de position publique de l’EPCC Chemins du patrimoine en Finistère contre le racisme et les haines tout autant que sa décision de permettre lors du dernier week-end d’ouverture, l’accès gratuit à cette « exposition éclairée de la pensée de Claude Lévi-Strauss, qui peut aider à comprendre l’autre dans sa différence ». Ainsi, il nous prend à espérer que « Tous des sauvages – Regards sur la différence » puisse partir en itinérance à travers la Bretagne et toute la France !

 
L’autre est-il un sauvage ? Un modèle ? Ou tout simplement notre semblable…

 

Prenant appui sur le livre de Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, l’exposition partait de l’idée que nous sommes, à la base, ethnocentriques, c’est-à-dire que nous avons tendance à penser que nous sommes les seuls au monde à avoir raison et à nous comporter de manière civilisée, tandis que nous voyons dans le comportement de l’étranger quelque chose d’incompréhensible, voire de scandaleux. Il apparaît que ce sont bien souvent la méconnaissance, l’isolement et la peur qui conduisent à voir en l’autre un sauvage et à imaginer toutes sortes de légendes à son sujet. Cependant, l’ethnocentrisme et la discrimination ne sont pas une fatalité. Le regard que l’on porte sur le reste de l’humanité change en fonction de l’histoire, du niveau de connaissance et des contacts que l’on entretient avec les autres peuples et régions du monde.

Pour Claude Lévi-Strauss, les attitudes culturelles et les comportements en société sont en grande partie le résultat de constructions inconscientes. Les comportements xénophobes reposent sur des peurs irrationnelles et des fantasmes. Les manières de vivre et de penser des autres, si leur sens profond nous reste étranger, conduisent souvent à une incompréhension, voire à l’indignation. En rejetant les formes culturelles les plus éloignées des nôtres, nous nous protégeons contre une menace possible que l’autre représente pour nos valeurs, notre mode de vie, notre identité.

L’ethnologie et l’anthropologie ont largement contribué à construire ce regard et à comprendre l’autre, en montrant que chaque société ou chaque culture possède ses propres valeurs et qu’on ne peut les concevoir, en raison de leurs spécificités, selon un critère unique et valable pour toutes.

Mais l’exposition se voulait également critique à l’égard de la science qui voit en l’autre un objet d’étude, oubliant parfois qu’elle a affaire à des êtres humains, ayant eux aussi leur mot à dire sur les questions qui les concernent. Nous ne pouvons plus considérer l’autre comme un primitif ou une curiosité à observer, mais comme un semblable. Il ne s’agit ni d’en faire un modèle, ni de l’amener à devenir identique à nous-mêmes, mais de reconnaître sa différence tout en lui demandant de faire de même à notre égard.

 

Venu nombreux, à tel point que l’expo a été prolongé d’une semaine, grands et petits – en particulier le public scolaire, parcourant les différents espaces aux mises en noms évocateurs (« Nous et les autres », « Le scandale de la diversité », « Nous seuls humains, « L’autre, un monstre ? », « L’autre, un impie? » «L’autre, un animal ? », « L’autre, un primitif ? », Commun humain »),  ont ainsi pu se frotter aux questions de la diversité culturelle et du racisme, ô combien au coeur des enjeux de nos sociétés contemporaines.

 

*« La banane est un fruit très énergétique, très riche en potassium. Elle est facile à digérer, elle est riche en calcium, en vitamines A, B et C. C’est bien que tu en manges régulièrement. C’est pour qui la banane ? C’est pour toi, pour que tu grandisses. » (extrait du billet d’humeur de l’humoriste François Morel sur France Inter, en réponse à la jeune fille auteure des insultes racistes qu’a essuyées Mme Taubira, garde des Sceaux, lors d’un déplacement à Angers le 25 octobre dernier. Regrettant par la suite, à juste titre, le recours inutile à un vocabulaire grossier, François Morel s’en est excusé dans un second billet d’humeur, toujours sur France Inter, le 15 novembre : http://www.dailymotion.com/video/x177gzl_a-une-petite-fille-sensible-espiegle-artiste-dans-l-ame_fun)

**Lien article de La Croix : Les injures racistes, symptôme d’une crise identitaire
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Les-injures-racistes-symptome-d-une-crise-identitaire-2013-11-18-1062232

 

 

 

Le nom des gens

 

 

On les appelle Apaches ce qui signifie : ennemis. Eux se nomment Dine : les gens. On les appelle Berbères : barbares. Eux se nomment Imazighen : hommes libres, nobles. On les appelle Iban : vagabonds. Eux se nomment Dayak (Malaisie) : êtres humains. On les appelle Cafres : païens, infidèles, noirs. Eux se nomment Zulu : Paradis, Ciel. On les appelle Kayapo (Amazonie) : ceux qui ressemblent à des macaques. Eux se nomment Mebengokre : les hommes de la combe où l’on trouve de l’eau. On les appelle Sioux : vipères, ennemis. Eux se nomment Dakota : alliés. On les appelle Waika : tueurs. Eux se nomment Yanomami : humains. L’ethnonyme est le nom par lequel on désigne une ethnie, c’est-à-dire un groupe de personnes qui revendiquent une même langue, une même origine ou une même culture. Chaque groupe ethnique a au moins deux appellations : le nom que le groupe se donne à lui-même, généralement valorisant, indiquant les qualités humaines ou nobles de l’ethnie, et le nom par lequel le groupe est désigné de l’extérieur, qualifiant souvent l’autre d’ennemi ou mettant le doigt sur des caractéristiques que l’on réprouve (aspect physique, habitudes alimentaires, religion, langue, etc.).

 

 

Nos amies les bêtes

Dans le cadre d’un projet mené en collaboration avec le Museum of Mankind de Londres, l’anthropologue britannique Nigel Barley accueille chez lui des artisans indonésiens et découvre que les chocs culturels ne sont pas l’apanage des ethnologues occidentaux en déroute : « La diversité des chiens anglais et leur droit de circuler librement dans les maisons les étonnèrent. […] un jour, à leur retour, ils étaient vraiment hilares. Le parc, direntils, est plein de fous. Oh, seigneur ! Qu’est ce qu’ils faisaient ? Nouveaux gloussements. Ils tournaient en rond… avec des chiens… au bout de morceaux de ficelles. Le rire les reprit. Mais vous faites la même chose les buffles. Vous les emmenez se baigner. J’ai vu des gens passer de l’huile sur leurs sabots et brosser leurs cils. Ils durent en convenir d’un ton vexé. Mais c’était différent. Faire ça avec un chien, c’était comme de le faire avec une souris. Dingue ! » Nigel Barley, l’Anthropologuie n’est pas un sport dangereux, 1997

 

 

Alors qu’au « Village nègre » d’une exposition de 1913 à Brest ou à l’Exposition coloniale de 1931, on va voir comment les Africains se nourrissent, s’amusent, fabriquent leurs outils ou leurs accessoires de chasse, les affiches publicitaires vantant les produits coloniaux montrent des indigènes souriants et dociles, supposés adhérer au projet colonial. L’imagerie de l’époque conforte ainsi le sentiment de supériorité de l’homme blanc et justifie l’assujettissement des gens de couleur. Ainsi rabaissé, sa culture méprisée, l’autre n’est plus qu’un instrument de propagande au service de la cause coloniale ou une curiosité exotique exhibée pour le bon plaisir du public européen. Dans un même temps, la thématique "nègre" inspire les avant-gardes du début du 20e siècle et se cristallise dans La Revue Nègre de Joséphine Baker et l’apparition du jazz sur les scènes parisiennes, qui joue, dans « La Revue du Jour » aux Folies Bergères, le rôle de l’Africaine Fatou avec son fameux costume de 16 bananes cousues dans une jupe.

 

 

 « Miroir, mon beau miroir, dis-moi de quelle couleur est mon cœur* ?»

Des étudiant-e-s en BTS DATR du lycée de Châteaulin croisent leurs regards avec celui de « Tous des Sauvages ».

En ce mardi matinal du 5 novembre, les 24 étudiant-e-s en 1ère année de BTS « Développement et animation des territoires ruraux » du lycée agricole de Châteaulin, accompagné-e-s de leur professeure d’éducation socioculturelle, empruntaient les allées automnales du parc de l’abbaye de Daoulas avant de se laisser happer par l’exposition, muni-e-s d’un fort riche carnet pédagogique destiné aux visiteurs en autonomie. A la lumière de ce qu’ils ont vu et apprécié, de ce qui les a particulièrement touché, ils préparent à leur tour une exposition au sein de leur lycée, visible entre fin décembre 2013 et janvier 2014. Elle leur permettra ainsi de croiser leurs regards avec la première, dans une mise en forme composée librement de textes de nature diverse, voire d’expressions artistiques, autant de réponses aux « racistes égarés » qu’on ne saurait laisser contaminer notre grand corps social  par ces maladies honteuses que sont l’ignorance et la peur, pourvu que l’on propage sans relâche des remèdes tels que « Tous des sauvages » :.
*« Quelle que soit la couleur de ta peau, ton p’tit cœur, il est rouge palpitant »

 

 

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Laurence MERMET

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