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La loi française face au changement climatique

Face à l’urgence climatique et écologique, la France s’est fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui passent par plusieurs stratégies et engagements, qui ne cessent d’évoluer.

Alors que le premier programme de lutte contre le changement climatique date de l’an 2000, le contexte législatif français s’est progressivement étoffé jusqu’à parvenir à un ensemble de lois dont la plupart ont été votées dans la seconde moitié des années 2010.

Deux d’entre elles se traduisent par des objectifs chiffrés : la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 et la loi climat-énergie de 2019.

La première prévoit de diviser par deux la consommation énergétique finale en 2050 par rapport à l’année de référence 2012, en visant un objectif intermédiaire de 20 % en 2030.

La seconde inscrit l’urgence écologique et climatique dans le code de l’énergie, et vise la neutralité carbone en 2050. Cela signifie qu’à cette date, il faudra que la quantité de gaz à effet de serre engendrée du fait de l’Homme soit égale à celle absorbée par des puits de carbone ; l’objectif étant d’arriver à un total de 0 émission nette. Cette loi climat-énergie se décline en 2 principaux outils : la stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui définissent les grandes lignes des politiques transversales et sectorielles ainsi que les actions prioritaires à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à moyen et long terme. C’est à cette loi que nous devons l’objectif des 33 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique d’ici à 2030.

Faisant suite à la loi ELAN de 2018, le décret tertiaire impose quant à lui aux gestionnaires de bâtiments tertiaires de plus de 1000m² de réaliser des économies d’énergie, avec un objectif de 60 % d’économie à l’horizon 2050.

Enfin, la loi Climat et résilience de 2021 traduit une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale. On peut néanmoins souligner cette loi est majoritairement perçue comme peu ambitieuse par rapport aux propositions initialement faites par le collectif citoyen. Des avis défavorables ont été émis par plusieurs instances, à commencer par Le Haut conseil pour le climat ou la Convention citoyenne pour le climat elle-même.

Cet ensemble de textes est celui qui définit le contexte législatif français et qui permet aux différents acteurs de la société, à commencer par les collectivités, de mener le cap vers la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique.

L’agence locale de l’énergie et du climat HEOL œuvre pour la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique en Pays de Morlaix. Elle offre notamment des conseils neutres et gratuits sur la rénovation thermique, les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Plus d’infos sur 02 98 15 18 08 et www.heol-energies.org .




Les réseaux de chaleur pour la transition énergétique des collectivités

Eléments clés de la transition énergétique, les réseaux de chaleur sont des installations généralement portées par des collectivités ou des entreprises. Ils sont composés d’une ou plusieurs chaufferies, qui produisent de l’eau chaude et l’acheminent jusqu’aux bâtiments proches géographiquement via un réseau de canalisations dédié, afin d’en assurer le chauffage et / ou l’eau chaude sanitaire.

L’intérêt de ces réseaux locaux est qu’ils peuvent fonctionner à partir de plusieurs sources énergies, en fonction des besoins identifiés au préalable et des ressources disponibles localement, comme par exemple le biogaz, le soleil, les déchets ou encore le bois, livré sous forme de bûches, plaquettes ou granulés.

Ces réseaux de chaleur ont de nombreux atouts : ils contribuent à l’économie locale, avec la mobilisation de ressources proches et une maintenance nécessairement réalisée in situ ; ils participent à l’indépendance énergétique, évitant ainsi de subir les aléas géopolitiques mondiaux ; ils répondent aux objectifs de développement des énergies renouvelables auxquels le pays est soumis (rappelons que la France s’est engagée à atteindre les 33 % d’énergies renouvelables dans son mix énergétique en 2030, et qu’elles atteignaient seulement 19,1 % en 2020, selon le ministère de la transition écologique).

Selon l’Ademe, la France compte 833 réseaux de chaleur répartis sur le territoire. S’ils sont encore majoritairement situés dans les grands centres urbains, ils se développent aussi fortement dans les régions rurales. En Pays de Morlaix par exemple, une dizaine de réseaux de chauffage au bois ont fleuri ces dernières années dans les communes de Garlan, Pleyber-Christ, Plougonven, Guiclan, Plouezoc’h, Lanmeur, etc. où ces derniers alimentent les bâtiments publics comme les mairies, écoles et salles multifonctions. Quand elles le peuvent, les communes profitent de l’installation pour revendre de la chaleur aux tiers qui se trouvent à proximité.

Le réseau de chaleur récemment inauguré par la communauté d’agglomération de Morlaix Communauté alimente par exemple les locaux de la collectivité mais aussi le centre culturel du SEW, les locaux du quotidien Le Télégramme, l’auberge de jeunesse, ainsi que quelques logements résidentiels situés à proximité. Cela permet à la fois de rentabiliser les coûts d’installation et de fonctionnement, et de faire profiter aux riverains des avantages d’une installation fiable et confortable.

Les réseaux de chaleur sont donc un formidable outil au service de la transition énergétique des collectivités. C’est dans ce sens qu’il existe des dispositifs d’aides intéressants, comme le « fonds chaleur » de l’Ademe qui permet de financer jusqu’à 60 % de leur coût d’installation.

L’agence locale de l’énergie et du climat HEOL œuvre pour la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique en Pays de Morlaix. Elle offre notamment des conseils neutres et gratuits sur la rénovation thermique, les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Plus d’infos sur 02 98 15 18 08 et www.heol-energies.org .




La pétition citoyenne pour une convention Penfeld ouverte par la ville de Brest

(Plume Citoyenne) La ville de Brest vient de prendre en compte la pétition proposée par l’association Rue de Penfeld en vue d’un débat au conseil municipal, lorsque 2 000 signatures sont recueillies. Rue de Penfeld demande un débat citoyen sur le partage de l’usage des rives de la Penfeld, rivière au cœur de la ville à Brest en proposant à la ville d’organiser une Convention Citoyenne Penfeld. Marif et Pierre-Yves nous présentent cette démarche de pétition citoyenne et le contexte de la demande de convention.

La pétition citoyenne peut être signée en ligne ou dans l’une des mairies de quartier.

Bonjour Marif , Pierre Yves, pouvez-vous vous présenter rapidement et nous dire ce qu’est l’association Rue de Penfeld ?

Je m’appelle Marif Loussouarn. Rue de Penfeld, est une vieille association, créée en 1992 sur la thématique de l’ouverture de la Penfeld, rivière au coeur de la ville à Brest sous emprise de la marine et qui pourrait s’ouvrir beaucoup plus aux civils qu’elle ne le fait.

Je m’appelle Pierre-Yves Brouxel et je fais aussi partie de rue de Penfeld depuis près de 30 ans. A certains moments, cela a avancé : Fêtes maritimes de Brest 92, le port du Château, les Capucins, et d’autres où ça a stagné. Depuis les dernières élections municipales, on remet le sujet sur la table parce que c’est un enjeu d’avenir pour la ville de Brest avec les multiples opportunités d »accès aux rives de la Penfeld.

Pourquoi une convention citoyenne ? Qu’est- ce que vous pouvez en attendre ?

Une convention citoyenne, c’est quelque chose qui élargit le débat en associant davantage la société civile, les associations, les personnes qui s’intéressent à l’avenir de la ville. Sur ce territoire très particulier de la rivière en cœur de ville, ce débat qui fait sens à beaucoup de personnes. L’accompagnement citoyen peut permettre d’éclairer les possibles, de développer une synergie avec l’apport de personnes qui connaissent ces sujets, de se poser la question de quels terrains regagner, d’ouvrir la discussion avec la Marine nationale et les opérateurs de l’État.

Cela permettrait de donner à voir de façon plus vaste et avec des personnes différentes, une autre manière d’entrer dans ce sujet. L’idée est aussi que ce ne soit pas une petite association comme la nôtre qui se démène pour parler du sujet, mais d’élargir le plus possible et d’éclairer la population.

C’est aussi la confiance en ce que des citoyens mis en situation lors d’une convention sont capables de faire des propositions originales et pertinentes comme l’a démontré la convention citoyenne sur le climat.

Une convention, c’est aussi dépasser une forme d’opposition entre civil et militaire, Il ne s’agit nullement comme a pu le déclarer le Maire à la presse de « savoir comment expulser la Marine de la Penfeld », cela n’a jamais été dans nos intentions. On voit bien sur les réalisations comme les Capucins ou le port du Château, que la discussion fait émerger des projets et qu’il n’est pas question d’expulser, mais de construire de nouveaux espaces qui rencontrent un très grand succès.

C’est aussi dépasser l’opposition entre le maire et l’association et sortir de cette dualité en ouvrant plus largement. L’expérience avec le travail de l’architecte-urbaniste Paola Viganò sur le Plan-Guide Cœur de métropole  montre que lorsque l’on discute, quand on a des éclairages, on est tout à fait capable de donner des avis riches, intéressants qui permettent d’ouvrir et de sortir de ce blocage. Aujourd’hui, nos tentatives d’échanges avec la collectivité, ne marchent pas.

Quelles ont été les avancées dans cette ouverture de la Penfeld ?

Un élément déterminant a été la mise en place d’une commission Penfeld après un comité interministériel d’aménagement du territoire en 1998. Cette commission, présidée par le préfet, avec le préfet maritime, le maire de Brest et l’équipement, mais sans ouverture à la société civile, a permis l’ouverture du port du Château (auparavant yacht club de la marine nationale) et des Capucins (auparavant ateliers de la Direction des Constructions Navales.)

Au moment des municipales 2020, on a relancé l’ensemble des listes candidates pour connaître leurs propositions. Un an plus tard, on a écrit à la liste élue pour savoir qu’est-ce qu’elle allait faire, sans recevoir de réponse. Après, il y a eu l’épisode Covid et à mi- mandat, on relance la question un peu plus fermement puisque des engagements avaient été pris durant la campagne. Mais nous n’avons reçu aucun écho de la collectivité à nos sollicitations, sinon par l’intermédiaire de la presse.

Pourquoi cette pétition citoyenne et qu’est ce que ce dispositif ?

Face à ce blocage dans le dialogue, en cherchant comment mettre le sujet sur la table, on a pensé à utiliser l’outil de « pétition citoyenne » mis à disposition des habitants par la municipalité pour qu’un sujet soit mis à l’ordre du jour d’un conseil municipale de printemps.

La pétition citoyenne est un dispositif qui se déroule en trois étapes. :

  • Dans un premier temps une association dépose une pétition sur le site dédié « je participe » et les services municipaux ont deux mois pour juger de la recevabilité de la demande. La pétition a été déposée début septembre.

  • Si le principe est validé, ce qui vient de nous être signifié, l’association a quatre mois pour recueillir au moins 2 000 signatures de Brestois de plus de 16 ans. Et s’il y a plusieurs pétitions, les cinq premières sont sélectionnées.

  • Le maire peut alors mettre ces sujets en débat au Conseil municipal. C’est une proposition que le maire n’est pas obligé d’accepter.

Nous voulons utiliser ce dispositif pour élargir le débat auprès de la population sur l’ouverture et le partage de la Penfeld. Et, si on avait les deux mille signatures et que le maire ne souhaitait pas mettre ce sujet au Conseil municipal, ce serait malvenu pour ce dispositif et la participation citoyenne à Brest.

Vous avez commencé le recueil lors des journées du patrimoine, quel en a été l’accueil ?

On est intervenu une demi-journée rue Saint-Malo, lors des journées du patrimoine et on a eu beaucoup de monde avec plus d’une centaine de signatures. C’est un bon début et surtout, on a croisé beaucoup de personnes très intéressées par de nouveaux espaces pour la ville, ou qui découvraient le sujet et pensaient qu’il y avait beaucoup de choses à proposer. J’ai aussi le souvenir d’une action aux Capucins où on demandait aux personnes ce qu’était la Penfeld pour elles ; et dans les réponses, c’était souvent les étangs de Penfeld à Bellevue qui revenaient, mais pas du tout la rivière en centre-ville.

Quand une partie des personnes rencontrées allaient au terrain de la Madeleine qui, on ne sait pas pourquoi, s’était ouvert alors que c’est un terrain militaire, elles découvraient cet espace où se situe le monument historique du bâtiment au Lion et où il n’y a rien depuis des années. Le paradoxe est que ce monument n’était pas ouvert pour les Journées du patrimoine, alors qu’on pouvait visiter le bureau du préfet, des bateaux militaires, l’enceinte militaire, des souterrains militaires. Et pourtant il y a eu neuf millions d’euros de travaux, dont la moitié financée par le ministère de la Culture.

La convention citoyenne parle aux personnes parce qu’il y a eu celle sur le climat, connue pour ses propositions malgré les difficultés ensuite dans la mise en œuvre promise. C’est un sujet, un objet de démocratie que les gens se sont appropriés dans l’esprit et qui intéresse.

Et comme il y a déjà eu une convention citoyenne à Nantes et une autre à Rennes, c’est l’occasion à Brest de faire le triangle breton !

La pétition citoyenne : https://jeparticipe.brest.fr/project/petition-citoyenne/collect/deposez-vos-petitions/proposals/convention-penfeld

Rue de Penfeld : www.penfeld.net




Des visites à domicile pour lutter contre la précarité énergétique

Dans son étude « la précarité énergétique » menée en 2020, le ministère de la transition écologique estime qu’un ménage français sur dix souffre de précarité énergétique. Cela signifie que ces personnes ont des difficultés à « disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de leurs besoins élémentaires, en raison de l’inadaptation de leurs ressources ou de leurs conditions d’habitat ». Un chiffre qui a certainement augmenté suite à la crise énergétique que nous traversons ces dernières années.

Sont concernés les ménages qui rencontrent régulièrement des difficultés à honorer leurs factures d’énergie et d’eau ainsi que ceux qui se plaignent de souffrir du froid chez eux, à cause d’une mauvaise performance thermique de leur logement ou de la vétusté de leurs systèmes de chauffage. Une situation exacerbée par la flambée des coûts de l’énergie de ces dernières années !

Les conséquences de la précarité énergétique sont multiples : privations sur des budgets comme l’alimentation ou l’éducation, dégradation du bâti, problèmes de santé, risques d’incendie et d’intoxication au monoxyde de carbone, dégradation des relations avec le bailleur, isolement, etc.

Pour venir en aide à ces ménages, il existe divers accompagnements socio-techniques, comme les visites eau énergie, mises en place par une quarantaine de collectivités en France, dont le conseil départemental du Finistère. Pour en bénéficier, il faut être locataire ou propriétaire occupant et être éligible au plafond dérogatoire du fonds de solidarité pour le logement (FSL).

Les ménages peuvent alors bénéficier gratuitement d’un diagnostic technique incluant l’appréciation du bâti, l’analyse et conseils sur les équipements et questionnement sur les habitudes de consommation pour trouver des solutions personnalisées durables et adaptées. Selon les besoins, ils peuvent aussi recevoir des petits équipements, comme des rideaux isolants, mousseurs, bas de porte, ampoules LED, ou parfois même des subventions complémentaires pour le renouvellement d’équipements ou des travaux d’amélioration du logement.

Pour plus d’information les ménages concernés peuvent se renseigner auprès des CDAS du territoire ou des agences locales de l’énergie et du climat, qui sont habilitées à réaliser ces visites. Les parents, les proches, les voisin.es ou encore les associations d’aide aux personnes en difficulté peuvent aussi être de précieux donneurs d’alerte.

A lire aussi, le portrait que nous avons consacré à Nolwenn Ragel, chargée de mission précarité énergétique chez Heol, qui effectue justement des visites à domicile.

HEOL, l’agence locale de l’énergie et du climat du Pays de Morlaix, œuvre pour la transition énergétique et climatique en Pays de Morlaix. Elle offre notamment des conseils neutres et gratuits sur la rénovation thermique et les économies d’énergie. Plus d’infos sur 02 98 15 18 08 et www.heol-energies.org .




Quelles interactions entre innovation publique d’intérêt général et communs de la transition ? interview de Benoît Vallauri

Depuis 5 ans le Ti Lab à Rennes réunit des acteurs des collectivité locales et services autour d’innovation d’intérêt général. Aujourd’hui, les questions de la transition interpellent l’ensemble des politiques publiques, et des liens sont à construire entre cette innovation par les acteurs des services publics et les acteurs de la transition. Interview de Benoit Vallauri en introduction à la conférence atelier « Innovation publique et Transition », qui aura lieu le 17 novembre dans le cadre du Transiscothon à Quimper (29).

 

Peux-tu te présenter ainsi que le Ti Lab ?

Benoît Vallauri, je suis le responsable du Ti Lab. Avant d’être responsable du Ti Lab, j’ai commis pas mal de choses, dans la fonction publique ou sur d’autres terrains, qui avaient en commun d’être tout à la fois créatives, de chercher des interstices pour faire des choses intéressantes pour l’intérêt général et de s’intéresser à la question des communs.

Le Ti Lab est un laboratoire d’innovation publique qui agit en Bretagne, qui dépend tout à la fois des services de l’État et des services de la région Bretagne et que l’on définit, comme un laboratoire de recherche et développement de politique publique. En gros, on vient nous voir avec un problème et on essaie, par l’intermédiaire de recherches, d’actions créatives et d’expérimentations à petite échelle, de trouver des solutions. Nous hébergeons également des communautés de personnes qui ont envie de prendre un sujet, de le travailler sur d’échanger sur leurs pratiques ou sur des problématiques retenues en dehors des réseaux habituels.

Porté par la Préfecture de Bretagne et la Région Bretagne, le Ti Lab est un laboratoire territorial (préfecture de région).

  • Conduite de nouveaux projets, de l’exploration à l’évaluation des expérimentation

  • Accompagnement et accélération de projets existants

  • Coopération ouverte et multi-partenariale

  • Animation de communautés

  • Recherche-action en politiques publiques

  • Ethnographie/ Design de politique publique / UXDesign / Co-développemen

  • Facilitation directe / Ateliers coopératifs remix et Hackathon

  • Formations-actions

  • Conseil en Innovation publique et en Participation citoyenne

 

Merci. Qu’est- ce que tu entends par « Innovation publique d’intérêt général » ?

L’innovation publique concerne des éléments qui relèvent des politiques publiques, de ce que la « puissance publique » peut aider à faire ou ne pas faire pour laisser la place aux autres. Et l’innovation publique d’intérêt général, c’est pour moi quand l’innovation publique est au service de l’intérêt général, c’est- à- dire des usagers citoyens pour lesquels elle travaille. On essaie, au sein de la laboratoire d’innovation publique, d’être aussi des porte-parole des citoyens sur des aspects opérationnels ou plus politique, en alliant le côté politique publique et l’intérêt général, qui est particulier aux communs.

Justement, à propos de commun, ce n’est pas très courant que les laboratoires d’innovation publique fonctionnent en privilégiant ces communs. Pourquoi le TI LAB développe ces projets comme des communs ?

Il y a plusieurs raisons.

Déjà parce que ce qu’on essaie de faire a toujours une dimension coopérative. On ne travaille jamais tout seul et on a besoin des autres, de personnes sur le terrain, de citoyens, d’usagers. On a aussi des personnes qui viennent au sein du Ti Lab, parce qu’elles ne trouvent pas d’espaces de coopération au sein de leurs organisations. Lorsqu’elles sont dans des espaces de coopération, elles travaillent ensemble et cela nous semble normal que ce qui sort de ces travaux en communs soit « versé » aux communs, mises en partage et puisse s’enrichir.

Une deuxième raison relève d’un principe du Ti Lab. On considère que la recherche et développement financées par de l’argent public a vocation à être partagée, donc à être des communs. Pour le dire plus simplement, une action expérimentale développée par le Ti Lab qui ne trouve pas sa place en Bretagne peux être développée à l’autre bout de la France, voire même à l’autre bout du monde, parce que justement, c’est un commun qui peut être reproduit, et alors on en est très contents et on pense qu’on a rendu service.

Enfin, une autre raison, c’est aussi que le fait de pouvoir délivrer des communs permet à d’autres personnes que l’on ne connaît pas de pouvoir les reprendre, les réutiliser, les améliorer, les repartager et de bénéficier comme ça de toute la force que donnent les communs.

 

Comment s’organise cette pratique des communs ?

Fondé en 2017, le LabAccèsest un programme de recherche-action collaboratif porté par le Ti Lab (le laboratoire d’innovation publique en Bretagne) sur le thème de l’accès aux droits sociaux dans un contexte de dématérialisation de la relation administrative.

Le LabAccès apporte un éclairage concernant les effets de la dématérialisation aux différents niveaux de la relation e-administrative, et mène des expérimentations visant à agir contre le non recours aux droits et aux services publics.
Pour en savoir plus : https://www.labacces.fr

Sur le Labaccès, par exemple, elle s’organise parce qu’on essaye de faire coopérer des acteurs qui ne travaille pas forcément ensemble. Par exemple sur plusieurs échelles territoriales, des associations et des partenaires publics, des organismes dématérialisant comme la CAF et des maisons France Service ou des médiateurs numériques, voire des acteurs qu’on peut qualifier de militants.

Elle s’organise aussi parce qu’on essaye de faire coopérer ensemble différentes professionnalités, différents métiers, qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, par exemple, des chercheurs en sciences sociales et designers. On recherche des solutions communes, des scénarios communs, et en dehors des silos habituels.

Cette pratique est aussi celle de la documentation de tout ce qui est produit au sein du laboratoire. Ces documentations et/ ou ces outils sont délivrés sous des licences ouvertes comme les licences Creative Commons qui permettent la réutilisation. On s’appuie également sur des données ouvertes pour essayer d’avoir des représentations qui soient accessibles.

 

Utilo, une communauté pour connecter les facilitateur.rices d’intérêt général

Tu t’intéresses à la facilitation, tu cherches à travailler différemment, en intelligence collective, tu as envie de rencontrer d’autres personnes qui sont dans le même cas pour recevoir et partager des outils, des conseils, développer d’autres compétences ?
La communauté est composée d’agent.es public.ques mais aussi de personnes issues du milieu associatif, de l’ESS, d’indépendant.es, tou.tes animé.es par l’innovation d’intérêt général.

 

Pour Utilo, ça s’organise encore plus, comme des communs, puisque à l’origine, Utilo, ce sont des personnes qui sont venues au Ti Lab pour ne se rencontrer entre personnes pratiquant de la facilitation, de l’animation, de l’expérience de l’intelligence collective, de la coopération. Des personnes qui se sentaient isolées dans leurs pratiques et dans leurs institutions ou dans leur milieu et qui voulaient partager.

Le Ti Lab les abrite. Le Ti Lab leur permet de faire des choses pour lesquelles elles nous missionnent. Utilo, ce sont les gens qui font Utilo qui gouvernent Utilo eux-mêmes, et qui mandatent le TI LAB pour enrichir Utilo, pour par exemple créer le site Internet d’Utilo. C’est donc eux qui sont à la base de la décision et qui conservent cette gouvernance qui est pour nous un élément clé des communs. Cela existe aussi dans LabAccès, mais plus à titre de co-gouvernance, avec une échelle de décision un peu plus stratégique et un peu plus administrative.

 

Et pourquoi le Ti Lab s’intéresse aujourd’hui à la transition ?

Déjà, il est évident qu’il faut s’y intéresser, cela nous concerne maintenant, c’est un sujet à la fois contemporains, urgent et important.

La deuxième raison, c’est qu’on s’est rendu compte que depuis sa naissance et par les sujets dont on est saisi, le Ti Lab a une entrée justice sociale importante. Or, on a besoin d’inscrire ces éléments de justice sociale à l’intérieur de la transition environnementale ou des transitions plus sociales en termes de pratiques entre les personnes.

On pense que cela peut permettre de résoudre un certain nombre de problématiques ou d’éviter de prendre de mauvaises solutions parce qu’il y a des limites planétaires qu’il va falloir respecter Pour que ces limites planétaires soient respectées, il y a des décisions à prendre, mais pour que ces décisions à prendre soient socialement acceptées, il faut qu’elles relèvent d’éléments de justice sociale. On est aussi déjà des pense être des acteurs de la transition par cette dimension très coopérative qu’on applique dans nos projets et en cherchant à diversifier les acteurs jusque ceux avec lesquels, généralement, la puissance publique ne dialogue pas.

Et puis enfin, la troisième raison, c’est que les institutions avec lesquelles on travaille souhaitent avancer sur ce sujet sans savoir forcément comment faire. Elles ont besoin d’être un peu aiguillonnés pour pouvoir le faire plus fortement au-delà des lieux communs ou du « greenwashing » Pour rentrer dans des choses dures, c’est certainement plus facile à faire dans un laboratoire en avance de phase que directement dans une administration, vu les changements qui sont à opérer, tant en termes de pratique qu’en termes de manière de décision publique. Ensuite, ces changements peuvent être diffusés.

 

Merci Benoît. Et puis, si les communs et la transition sont au cœur de l’action de Transiscope, peut- être deux mots un sur le sujet de la conférence du 17 novembre, qui sera l’interaction entre Innovation publique et acteurs des transitions.

La première chose, à laquelle je pense que c’est déjà d’avoir des espaces sur lesquels on puisse « s’interconnaître », s’apprivoiser et dialoguer. On a des pratiques en commun, mais parfois, effectivement, ce n’est pas toujours évident lorsqu’on on travaille pour des administrations, de pouvoir le faire aussi un peu librement avec d’autres acteurs. On peut nous dire que c’est trop politique, que ça relève trop de la militance. Or, il y a des choses aujourd’hui qui sont complémentaires, qu’on peut faire ensemble d’ailleurs, et qui nous permettent aussi d’identifier des interstices. C’est dans ces interstices que les actions porteuses de futurs et peut-être les plus intéressantes, vont pouvoir se situer.

Donc, apprendre à travailler ensemble.

Et puis on est déjà un acteur de la transition en accompagnant ou hébergeant des actions comme Utilo, ou lorsque dans Labaccès, on interroge des élus, des acteurs politiques ou sociétaux, sur le techno-solutionnisme qui est aussi présent dans la problématique des transitions.

Enfin, pour l’équipe du TI LAB, la transition concerne les personnes qui y sont embarquées, mais également les gens avec qui on travaille. On a vraiment besoin de jeter des ponts avec tout le monde.

 

Interview réalisée par Michel Briand




Politique cyclable, un enjeu de transition en Bretagne comme ailleurs.

Alors que le vélo, avec une augmentation manifeste et régulière du nombre de ses pratiquant.es, est depuis quelques années le grand gagnant des déplacements estivaux tout comme ceux du quotidien, Eco-Bretons part à la rencontre du rennais Sébastien Marrec*, chercheur et consultant spécialiste des mobilités actives. Il nous apporte ses éclairages sur le développement de la pratique cyclable en France et plus particulièrement en Bretagne et nous fait un focus sur le futur envisagé et envisageable d’une région cyclable.

1 : Le comité interministériel vélo et marche vient d’annoncer début mai ses ambitions et plan d’actions pour rendre la France cyclable d’ici 2030. Pouvez-vous nous en décrypter les grandes lignes ?

Il faut d’abord rappeler que le précédent plan, baptisé « Plan vélo et mobilités actives » et lancé en 2018, a été un marqueur de la politique de mobilité du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron. Le président de la République affirmait alors vouloir donner la priorité aux “transports du quotidien”. Sur la période 2018-2022, l’État a dépensé 410 millions pour le vélo via le fonds mobilités actives (contre 350 initialement prévus). Des centaines de projets ont été co-financés partout en France. La progression du réseau cyclable est indubitable : environ 16 000 km de pistes cyclables et voies vertes sont apparues depuis début 2018, pourtant le réseau national à 56 000 km. Jamais autant d’aménagements cyclables n’avaient été créés en si peu d’années. La fréquentation de l’infrastructure, fortement stimulée par les conséquences des grèves des transports publics et de la pandémie, va logiquement de pair avec cette progression : + 31 % entre 2019 et 2022 à l’échelle nationale, selon un échantillon de compteurs. D’autres mesures importantes comme le coup de pouce vélo (82 millions d’euros) et les aides à l’achat (65 millions) ont permis d’appuyer cette dynamique d’investissement. 

Le Plan vélo et marche de 2023 a participé à changer l’image du vélo, encore très associé dans les esprits et l’imaginaire collectif aux loisirs et au sport. Il y a bien d’autres raisons à cela : l’essor des ventes de vélos à assistance électrique (plus de 700 000 exemplaires vendus en 2022), le plaidoyer du mouvement pro-vélo et notamment de la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB), les effets des crises survenues ces dernières années, en premier lieu de la crise sanitaire… En revanche, l’ambition d’atteindre 9 % de déplacements à vélo d’ici 2024 est désormais inenvisageable : les observateurs s’accordent à dire que la part du vélo dans l’ensemble des déplacements, aujourd’hui, ne dépasse pas 4 %. La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), qui définit la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone, fixe toujours un objectif de 12 % de part modale en 2030, qui ne sera atteignable que par un volontarisme sans précédent des pouvoirs publics, des employeurs et une demande sociale en croissance continue. 

Enfin, il est important de souligner que ce nouveau plan s’inscrit dans un cadre européen qui a beaucoup évolué ces derniers mois. En octobre dernier, la France a signé (sans l’avoir initiée) la Déclaration sur le vélo avec quatorze autres pays européens, certains déjà très ou assez cyclables (Pays-Bas, Danemark, Hongrie…) et d’autres beaucoup moins (Grèce, Irlande, Espagne, Luxembourg…). En février, le Parlement européen a adopté une résolution inédite visant à élaborer une stratégie européenne du vélo pour en faire un mode de déplacement à part entière, et doubler les distances parcourues. 2024 s’annonce déjà comme l’année européenne du vélo.

2 : Quelles sont selon vous les annonces importantes de ce plan et celles qui vous semblent manquer ou mériter un engagement plus généreux de l’État ?

Le montant record de l’investissement prévu par le plan vélo et marche – 2 milliards d’euros sur la période 2023-2027 – a été beaucoup remarqué. Le gouvernement souhaite parvenir à 6 milliards d’euros au total en comptant sur la participation des collectivités locales. Ce montant devrait être atteint au vu de la dynamique de ces dernières années, même si les demandes de co-financement auprès de l’État ou de l’Union Européenne restent difficiles et longues à réaliser pour les petites communes, qui conservent en très grande majorité la compétence de la voirie. Un autre objectif marquant du plan est d’atteindre 100 000 km de pistes cyclables d’ici 2030, soit 44 000 km supplémentaires à réaliser en sept ans. Là aussi, l’objectif est réaliste, puisque qu’il s’inscrit dans le rythme prévu par les collectivités – à condition que ces aménagements soient principalement des pistes et des voies vertes, qui s’avèrent beaucoup plus coûteuses à réaliser que des aménagements partagés (comme les bandes cyclables ou les voies mixtes bus/vélo) mais nécessaires dès lors que la vitesse ou le nombre de voitures en circulation sont élevés. Un seul kilomètre de piste bidirectionnelle (pour rouler dans les deux sens) coûte au minimum 200 000 euros en milieu rural, sans contrainte spatiale ni intersection, et au moins 300 000 en milieu périurbain ou urbain. Un ouvrage d’art pour franchir une voie rapide, une voie ferrée ou un cours d’eau alourdit encore davantage la facture.

Le niveau d’investissement, que ce soit au niveau de l’État ou des collectivités territoriales, reste insuffisant pour que des projets structurants et de qualité se développent sur l’ensemble du territoire. Au total, 18 euros par an et par habitant sont dépensés pour les modes actifs en France, un budget comparable à celui de l’Autriche, de la Belgique et de l’Allemagne, mais bien inférieur à d’autres. L’Irlande et les Pays-Bas, par exemples, poursuivent des efforts beaucoup plus soutenus. 2 milliards représentent moins de 3 % du budget annuel du ministère des transports en France, alors que l’Irlande investit pour la marche et le vélo 20 % de son budget national consacré aux transports. Pour donner un ordre d’idée, il faudrait atteindre 30 euros pour parvenir à une augmentation significative de l’usage et 60 euros pour atteindre un niveau de pratique comparable à celui des pays les plus avancés en Europe. Soit 4 milliards d’euros par an au niveau national, contre 1,2 milliard à ce stade ! L’Institut de l’économie pour le climat estime que les mobilités correspondent aux deux tiers des 12 milliards en besoins d’investissements des collectivités nécessaires pour la transition vers une économie décarbonée. Plus d’un quart (3,3 milliards) devrait être consacré aux pistes cyclables et au stationnement vélo. Quels que soient les évaluations, cela revient à multiplier au moins par trois le budget de 2020 (1 milliard d’euros), et à faire du développement du vélo le premier domaine d’investissement, non seulement dans le secteur des mobilités mais tous secteurs confondus. En attendant, seules quelques collectivités bénéficieront de réseaux cyclables aboutis d’ici la fin de la décennie si l’enveloppe n’est pas abondée massivement dans les années qui viennent, si tous les outils financiers possibles ne sont pas mobilisés.

Le premier plan de 2018 contenait déjà des mesures très utiles et nécessaires, reprises dans le nouveau. La plus importante à mes yeux est le « Savoir Rouler à Vélo ». Ce dispositif vise à faire acquérir aux élèves de primaire une réelle autonomie à vélo avant l’entrée au collège, et à adopter au plus tôt l’habitude de se déplacer à vélo. Faire émerger une nouvelle génération de cyclistes est une réponse à la sédentarité croissante des enfants, qui font seulement quelques minutes d’activité physique par jour et ont perdu près de 25 % de leur capacité cardio-vasculaire en 40 ans. Cela incite aussi les parents à se questionner sur leurs propres déplacements. Or, la mise en œuvre du programme se révèle délicate. Entre 2019 et 2022, seuls 200 000 enfants ont été formés, parfois uniquement dans l’enceinte de l’école sur un module court, et pas dans les rues avec un suivi pendant plusieurs années de leur scolarité, comme il le faudrait. L’objectif de former l’ensemble d’une classe d’âge, soit 800 000 enfants, paraît encore lointain. C’est pourtant le meilleur moyen de diffuser une culture vélo dès le plus jeune âge, y compris pour les enfants de familles de non-cyclistes.

Des angles morts subsistent si l’on considère l’ensemble du système à mettre en place pour favoriser le vélo au quotidien. Les mesures en faveur du stationnement restent limitées, et le déploiement des parkings vélo sécurisés en gare est lent. Concernant la sécurité routière, alors que le nombre d’accidents mortels ne cesse d’augmenter, seule la sensibilisation est évoquée. Dans ce volet, aucune mesure forte n’est envisagée pour diminuer l’accidentologie. La fiscalité reste aussi peu favorable au vélo. Ainsi, le forfait mobilités durables (FMD), exonéré d’impôts et de cotisations sociales, n’est toujours pas obligatoire. Je suis convaincu que le plus grand défi consiste à rendre les représentations autour du vélo majoritairement positives, avec des bénéfices individuels et collectifs reconnus. La culture du vélo comme vecteur de liberté, d’émotions et de plaisir est encore trop peu partagée.

La mobilité écologique, plus largement, doit être valorisée comme étant un élément clé d’un mode de vie durable et souhaitable, porteur d’un imaginaire positif, individuellement et collectivement. Ce qui veut dire qu’il faut cesser de valoriser son contraire. Il faut souligner à cet endroit que si les publicités pour les énergies fossiles sont désormais interdites en France depuis la loi Climat et résilience, celles pour les voitures thermiques ne le seront qu’en 2028, et seulement pour les modèles plus polluants. La publicité, c’est la devanture de la consommation de masse, qui promeut un modèle fondé sur l’extraction de ressources, la consommation d’énergie et la production de déchets. L’ensemble des dépenses de publicité et de communication du secteur automobile en France représente plus de 4 milliards d’euros chaque année, un montant bien supérieur au chiffre d’affaires global de la filière vélo (3 milliards). Un Français qui achète une voiture neuve paye en moyenne 1500 euros de publicité, et c’est même plus de 2000 euros pour un SUV. Il faudrait interdire ou du moins taxer lourdement ce secteur et le réguler, comme cela a été fait pour le tabac et l’alcool avec la loi Evin.

 

3 : La Bretagne est-elle un territoire cyclable ? Pouvez-vous nous expliquer les particularités de la Bretagne au niveau de l’aménagement cyclable (ses atouts, ses faiblesses…) ?

Non, pas particulièrement, contrairement à ce qui est souvent entendu en raison du souvenir de quelques champions cyclistes (Robic, Bobet, Hinault) et la forte concentration de clubs de cyclistes et de vélodromes. Le premier vélodrome couvert de Bretagne vient d’ailleurs d’entrer en service à Loudéac (22) et accueillera des entraînements pour les Jeux olympiques de 2024. Mais cette visibilité importante et ancienne du cyclisme professionnel n’a à peu près rien à voir avec celle des comportements de mobilité au quotidien. Les trois quarts des Bretons utilisent la voiture comme mode de déplacement principal, notamment parce que les services de mobilité sont moins développés que dans d’autres régions, à l’exception des nombreuses aires de covoiturage. Le budget carburant augmente, les distances à parcourir s’allongent, le parc automobile vieillit. Les transports représentent 32 % des émissions de gaz à effet de serre (dont la moitié due à la voiture individuelle) et 36 % des besoins en énergie de la population, ce qui en fait le deuxième poste derrière le bâti (construction, consommation énergétique…).

Seules deux grandes villes se démarquent par leur « cyclabilité » : Rennes et Lorient, qui ont amorcé une politique en faveur du vélo dès les années 1990. La vitesse à Lorient est aujourd’hui quasi intégralement limitée à 30 km/h, ce qui améliore le sort des cyclistes. La Ville de Rennes porte une politique plus ambitieuse de modération de la circulation motorisée depuis quelques années (avec la création, cette année, d’une zone à trafic limité dans le centre historique), d’aménagements en site propre et de consignes gratuites pour se stationner. Quant à Rennes Métropole, elle déploie rapidement un « réseau express » pour relier la ville-centre aux communes de première couronne et a généralisé la possibilité de tourner à droite aux feux rouges. Le Baromètre des villes cyclables – qui mesure régulièrement le ressenti des cyclistes sur leur conditions – montre que le climat général est médiocre, à l’exception de ces deux villes, de plusieurs communes balnéaires ou périurbaines et des communes insulaires, comme Groix (56) ou Bréhat (22), où le trafic motorisé est de facto plus faible ou quasi inexistant par rapport au continent. Ainsi, des villes importantes comme Quimper, Saint-Brieuc, Vannes et même Brest ou Saint-Malo ne sont guère favorables à la pratique.

Mais la situation évolue incontestablement : de plus en plus de communes et d’intercommunalités font des efforts remarquables pour donner de la place au vélo. Les exemples sont innombrables. La commune de Plourin-lès-Morlaix (29) réserve et crée des voies pour les cyclistes. Auray (56) va aménager une « dorsale » – une grande continuité d’aménagements sur ses avenues contournant le centre-ville – et veut devenir une « ville du quart d’heure » pour tout faire à pied et à vélo au quotidien, dans la proximité. A Concarneau (29), une avenue et un quai importants du centre ont été dotés de pistes provisoires. De nombreuses intercommunalités proposent différents types de vélos en location, comme Guingamp-Paimpol Agglomération (22) ou le pays de Landerneau-Daoulas (29). Le vélo est aussi le seul mode qui progresse dans les déplacements domicile-travail à l’échelle régionale : il est passé de 1,8 % des déplacements en 2015 à 2,5 % en 2019 (et même près de 4 % en Ille-et-Vilaine, grâce à Rennes). La Région a d’ailleurs présenté fin 2022 une ébauche de son premier plan vélo, qui sera mis en œuvre à partir de l’an prochain, et permettra de développer l’usage pour l’intermodalité avec la création de consignes en gare (des garages sécurisés), l’accessibilité et le stationnement pour les lycées, l’amélioration des voies vertes et le tourisme et la structuration de la filière industrielle. Benjamin Flohic, un conseiller régional très impliqué, porte cette ambition de basculer vers un usage massif du vélo en coordonnant les actions des collectivités locales. 

Reste qu’en milieu rural, les distances à parcourir sont plus longues, les vitesses des véhicules plus élevées, et il n’y a la plupart du temps que très peu d’aménagements, en particulier le long des départementales parfois très empruntées entre les bourgs. Mais l’absence de réseau cyclable se manifeste aussi très souvent en milieu périurbain et même dans des villes de toutes tailles, où la voiture est encore perçue comme indispensable à majorité de la population. C’est pourquoi ce sont les élus les plus motivés et convaincus par les bénéfices du vélo et la lutte contre les nuisances de la dépendance à la voiture qui parviennent à modérer les vitesses et les flux de voitures. Les collectifs d’habitants et les associations d’usagers jouent également un rôle primordial pour inspirer ces initiatives, accompagner des élus mais aussi faire pression sur eux. Si la concertation est régulière et constructive, les élus et les techniciens peuvent améliorer les conditions de circulation à vélo en tenant compte de l’expertise des usagers.  

Ces initiateurs se retrouvent inéluctablement confrontés au mille-feuille territorial de la gestion de la voirie, de la circulation et du stationnement. Il reste délicat de mettre en place un réseau cyclable cohérent et complet en France à cause de la multiplicité des décisionnaires concernés : communes, intercommunalités, syndicats mixtes, départements, régions, État… La faiblesse de l’engagement des départements, en particulier, est pénalisante car les routes départementales sont des voies stratégiques pour relier directement et efficacement les bourgs, les villes, les gares et zones d’activités. Rien qu’en Bretagne (administrative), il y a 17 000 kilomètres de routes départementales, dont une infime partie dispose d’aménagements cyclables. L’entretien d’un réseau cyclable complet coûterait pourtant à long terme beaucoup moins cher que les 200 millions dépensés chaque année pour le réseau routier des quatre départements. Mais il faut investir des sommes conséquentes dans sa construction et se coordonner afin d’obtenir un réseau attractif.  

Il y a désormais un « élève modèle » en la matière dans la région : c’est l’Ille-et-Vilaine. En parallèle de la mise en suspens de projets de contournements routiers de plusieurs villes, le département a décidé d’investir 70 millions d’euros sur sept ans pour développer des pistes de qualité, sécurisées et confortables, entre une ville et un bourg, entre plusieurs communes, ou entre un bourg et sa gare TER. Deux projets ont déjà été inaugurés, l’un à l’ouest de Fougères (Romagné – Saint-Sauveur-des-Landes) et l’autre au nord de Rennes (La Mézière – La Chapelle-des-Fougeretz). Ces pistes de couleur rouge, complètement séparées par des terre-pleins, font 3 mètres de large et peuvent accueillir de nouveaux types de vélos dont les ventes décollent, comme les vélos-cargos qui permettent de transporter des courses et des enfants. Aux communes et intercommunalités, ensuite, de tirer profit de ces réalisations en s’en servant comme d’une ossature pour développer leurs propres réseaux locaux. Pour parvenir à ce résultat, un changement de paradigme au sein du conseil départemental est nécessaire, de même que la formation des techniciens départementaux en charge des routes. 

 

4 : Comment les territoires bretons peuvent utiliser les récentes annonces ministérielles pour refaire du vélo un transport de masse, qui participe pleinement au système de mobilité des citoyen.nes ?

A priori, l’objectif du gouvernement est toujours de faire du vélo un mode aussi important en nombre de déplacements que les transports en commun à l’heure actuelle (9 %). Il n’est pas question à ce stade d’atteindre une position aussi structurante qu’aux Pays-Bas, où 28 % des déplacements du quotidien se font à vélo. Le dernier appel à projets lancé par l’État vise à constituer un ou deux territoires pilotes en faveur du vélo par région et par an, ce que la FUB appelle des « Mini Hollandes » en référence à un programme britannique similaire. Globalement, l’État compte sur le volontarisme des collectivités pour mener à bien les objectifs de son plan. C’est oublier que ces collectivités n’ont pas assez de moyens financiers et humains et de compétences d’ingénierie. La plupart des investissements sont en attente faute d’argent, et les arbitrages budgétaires de ces prochaines années pourraient ne pas arranger les capacités à financer des infrastructures. Il manque aussi des milliers de postes de chargés de mission pour le vélo, d’ingénieurs, d’animateurs et de moniteurs de vélo-écoles, par exemple.

Les solutions ne manquent pas en termes d’aménagements. Pour moi, la priorité est d’abandonner les projets routiers, qui, sauf lorsqu’ils cherchent réellement à dévier un trafic de transit passant par une zone agglomérée, sont inutiles. Ils accaparent beaucoup d’argent public, des terres agricoles et des espaces naturels. Réorienter les moyens initialement prévus ou jusque-là consacrés à ces projets, comme l’a opéré l’Ille-et-Vilaine, représente une opportunité de premier plan. Le Finistère et les Côtes-d’Armor dépensent toujours beaucoup moins pour le vélo que l’Ille-et-Vilaine et continuent de privilégier plusieurs projets routiers, malgré leur attractivité à la fois sur les plans démographique et touristique. Ensuite, les collectivités ont intérêt à s’inspirer de ce qui se fait de mieux, en Bretagne, en France et à l’étranger, sortir de cette croyance selon laquelle ce qui est fait localement est optimal, sinon bien suffisant pour le niveau de pratique actuel : il s’agit de se projeter dans un contexte où il y a aura trois fois plus de cyclistes. Toutes les plateformes de voies ferrées inutilisées de longue date devraient être transformées en voies vertes, et une partie du réseau routier rural réservé aux seuls véhicules des riverains et quelques ayant droits pour offrir des itinéraires plus sécurisés aux cyclistes.

Ce qui est plus difficile, c’est de faire avancer tous les aspects du « système vélo » en même temps : les aménagements donc, mais aussi le stationnement, les services de location, la communication… Cela nécessite beaucoup d’énergie et d’investissements. Prioriser, trouver des solutions rapides et économiques est donc souvent incontournable. Le dernier congrès de la FUB, qui s’est tenu à Rennes, a justement fourni des pistes en la matière en montrant que le vélo deviendrait incontournable dans le monde de l’après « tout-voiture ». A ce propos, si les élus et techniciens doivent s’appuyer sur les dernières recommandations du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), un établissement public d’État et le travail de bureaux d’études spécialisés dans les modes actifs, ils peuvent aussi faire appel au Collectif Bicyclette Bretagne (CBB). Ce regroupement régional de vingt-six associations d’usagers du vélo, créé en 2020, interpelle d’une seule voix l’ensemble des collectivités bretonnes pour réclamer un réseau cyclable couvrant la totalité du territoire, des équipements et mesures afin de développer l’intermodalité – notamment l’aménagement de parcs de stationnement pour les vélos dans tous les pôles intermodaux (avec le train, les cars, les bus, les bateaux, le tramway de Brest, le métro de Rennes, etc.). Le CBB promeut les plans de mobilité pour les établissements scolaires, les entreprises et les administrations. Il prend position sur les grands projets d’aménagement et de mobilités au nom des usagers. Le défi de ce type de collectifs est de se structurer pour s’imposer comme un interlocuteur de poids crédible, car pour le moment les associations locales sont loin d’être en situation d’être consultées et de négocier avec les collectivités. 

5 : Eco-bretons étant un média engagé dans la transition écologique, quelle est selon vous la place du vélo dans cette transition ?

Le principal problème est que la voiture reste la pierre angulaire de nos modes de vie depuis des décennies. Elle est partout, tout le temps, et sert à tous types de déplacements, même les plus courts. Elisabeth Borne, à l’occasion de la présentation des mesures du plan, a rappelé que 40 % de tous les déplacements effectués en voiture font moins de 5 kilomètres et qu’à ce titre “le vélo doit donc jouer un rôle essentiel”, puisque 5 kilomètres se parcourent en une vingtaine de minutes avec un vélo classique et une dizaine avec un VAE. On peut le dire autrement : 70 % de tous les déplacements de 2 à 5 km sont réalisés en voiture. Le vélo, sur les mêmes distances en comparaison, ne représente que 3 à 5 %. On peut ajouter que 58 % des actifs qui font un kilomètre ou moins pour aller au travail ont recours à la voiture et que jusqu’à 5 kilomètres, le vélo ne représente que 4 à 5 % des déplacements. On se situe donc en plein dans la pertinence de son domaine de portée (la distance à parcourir). Le potentiel de progression est immense. Cependant, à force de structurer les déplacements, la voiture est devenue une dépendance, un système qui marginalise les autres modes de déplacement, empêche beaucoup de Français.es d’envisager d’utiliser ces modes et exclut des personnes de la mobilité : les plus modestes, les enfants, les personnes âgées qui ne veulent plus ou ne peuvent pas conduire de voiture. 

L’engagement renouvelé et renforcé au sommet de l’État traduit bien la place prise par le vélo dans la transition. L’assistance électrique constitue une révolution : elle permet d’effacer le relief et élargit le périmètre envisageable de pratique. Un million de vélos à assistance électrique (VAE) se vendront en 2025 en France, soit près de la moitié du marché des vélos neufs. Ceux qui les utilisent parcourent des distances plus longues et pédalent plus fréquemment. Les VAE se prêtent très bien aux besoins des habitants de territoires avec beaucoup de dénivelé, peu ou moyennement denses, mais aussi toutes celles et ceux qui rechignent à se mettre au vélo classique parce qu’ils redoutent l’effort, le temps nécessaire à parcourir certaines distances, du démarrage au feu en étant mêlé aux voitures. Ils contribuent à accélérer la démocratisation du vélo au quotidien, même si l’infrastructure et l’offre de stationnement ne sont pas souvent satisfaisants. 

Enfin, le vélo est d’autant plus attractif quand il permet de rejoindre des trains fréquents, efficaces et confortables, des transports en commun, des aires de covoiturage… Il faut éviter la « rupture de charge », autrement dit pouvoir facilement passer du vélo à d’autres modes grâce à des équipements de stationnement sécurisés, à l’information voyageur en temps réel, à des services de location, à la sécurisation de l’accès à pied et à vélo aux pôles intermodaux. Aux Pays-Bas, plus de 40 % des usagers du train se rendent à vélo à la gare, à comparer aux 5 % d’usagers du TER qui ont la même pratique dans notre pays. Pourtant, sept Français.es sur dix sont à moins de 5 km d’une gare. Presque un tiers des émissions du secteur du transport pourrait être évité dans notre pays grâce à un système reposant sur une intermodalité efficace.

Il est urgent de revoir nos besoins de mobilité et de trouver des solutions plus adaptées, sobres et massives pour satisfaire ces besoins. L’usage illimité de la voiture individuelle contribue au changement climatique, à la pollution de l’air, à la consommation de ressources et d’espace, à la pollution sonore, aux accidents, à la sédentarité, aux inégalités sociales et territoriales… La technologie centrée sur l’industrie automobile (avec, en premier lieu, l’électrification du parc automobile) ne suffira pas à relever tous ces défis qui relèvent de l’évolution des modes de vie, de l’aménagement du territoire, des enjeux énergétiques et sociaux. Il faut donc nécessairement remettre en cause les avantages que procurent l’automobile, cette capacité à procurer des trajets de porte à porte, rapides, pratiques et flexibles, qui répondent aux besoins et à toutes les situations, mais masque d’énormes externalités négatives.

Le précédent plan vélo et les conséquences des crises qui se sont superposées depuis 2018 (du mouvement social des Gilets jaunes à la guerre en Ukraine) ont renforcé la prise de conscience de ces enjeux sociaux et environnementaux autour des mobilités et ont multiplié les occasions d’interroger nos modes de vie. Les journalistes, par exemple, sont beaucoup mieux familiarisés avec les politiques en faveur du vélo, les aménagements et leur conception, la réglementation et la diversification des pratiques et du matériel. Le plan de 2018 a contribué à faire évoluer les mentalités, à révéler les bénéfices du vélo et son potentiel comme mode résilient, à comprendre que la voiture, loin d’être promise à l’interdiction pure et simple comme voudraient le faire croire certaines caricatures, retrouvera sa juste place en tant que véhicule collectif de quatre, cinq places ou plus : beaucoup moins utilisée, partagée et sobre – et électrique bien sûr, en sachant que l’électrification n’est pas le remède magique à toutes les nuisances de l’automobile. L’un des évolutions notables de ces dernières années, c’est la reconnaissance du vélo comme solution crédible dans beaucoup de territoires périurbains et ruraux (et non plus seulement en milieu urbain) par un cercle de plus en plus important de personnes.

Merci à Sébastien Marrec d’avoir répondu à nos questions et au-delà de la complexité administrative, législative et politique de faire évoluer la pratique cyclable, nous retenons une chose :  « La culture du vélo comme vecteur de liberté, d’émotions et de plaisir est encore trop peu partagée. ». Alors en selle, amusez-vous bien et partagez partout votre plaisir d’être à vélo ! 

 

* Sébastien Marrec, 32 ans, est consultant spécialiste des mobilités actives (marche, vélo, trottinette) pour le bureau d’études en transition écologique BL évolution et doctorant en aménagement et urbanisme à l’Université Rennes 2. Il prépare une thèse reposant sur une analyse comparée de la conception et de la négociation des politiques en faveur du vélo dans le Grand Paris et dans la Randstad, une région des Pays-Bas, qui comptent parmi les plus grandes aires urbaines d’Europe, et leur transférabilité. Il vit près de Rennes, se déplace au quotidien à vélo, ou à vélo pliant et en train pour se rendre en mission dans l’ouest de la France.