Portrait d’éco-bretonne. Marianne Delhin, le vélo des possibles

Portrait d’éco-bretonne. Marianne Delhin, le vélo des possibles

Marianne Delhin a ouvert son atelier de réparation de vélo, la Clef à Morlette, à Morlaix en 2024. Sa particularité : on y vient pour faire soi-même les réparations, sous la supervision de la mécanicienne. Un lieu atypique, qui est aussi propice aux rencontres. Entretien avec sa fondatrice, qui évoque son parcours, son activité, sa passion du vélo, notamment des voyages à bicyclette, et la place des femmes dans ce milieu encore très masculin.

Marianne, peux-tu nous présenter l’endroit où nous sommes ?

Ici, c’est un atelier d’auto-réparation de vélo. L’idée, c’est que les gens viennent pour apprendre à réparer. Je mets tous les outils à disposition et j’accompagne. Je conseille, j’aide évidemment… Il y a 80% des gens qui rentrent et qui me disent « Je vous préviens, moi je ne sais rien faire ». Ce qui est faux, bien sûr! Tout le monde sait faire quelque chose. Pouvoir montrer comment se servir des outils permet de débloquer la situation. Finalement, la mécanique vélo c’est quelque chose qui n’est pas très compliqué, dans le sens où tout est visible. Et cela nécessite l’utilisation d’outils assez simples comme des clés plates, des clés à laine, ça se fait assez bien. Mais s’il manque le bon outil ou le bon conseil, on peut être bloqué.

Ici, pour pouvoir avoir accès au lieu, aux outils et aux conseils, il faut prendre un abonnement, soit à la journée, plutôt pour les personnes qui sont en voyage et de passage, soit à l’année, pour 49 euros. Il permet de venir quand on veut, pour réparer autant de vélos qu’on veut. C’est vraiment le cœur de l’atelier.

Il y aussi une partie un peu plus « boutique », avec des accessoires, et surtout des pièces détachées. Car quand on répare son vélo, parfois c’est juste du nettoyage et des réglages, mais souvent on a besoin de changer un câble, un patin, un pneu, une chambre à air, de la petite visserie… L’idée, c’est vraiment de pouvoir avoir tout sur place, et de ne pas devoir commander.

Des pièces d’occasion notamment… à prix libres

Oui, il y a des pièces neuves, mais aussi des pièces d’occasion. Elles permettent plusieurs choses : d’avoir des prix qui sont « libres », donc accessibles aux petits budgets qui peuvent aussi réparer à bas coûts. Et l’occasion permet aussi de pouvoir retrouver des pièces qu’on ne retrouve plus en neuf, notamment pour les vieux vélos. Ce sont des « petites perles », qu’on peut retrouver partout sur les vélos anciens, comme par exemple pour le passage des vitesses au cadre, vieux boîtiers de pédaliers, vieux dérailleurs… Ce sont de petits trésors.

Il y aussi des vélos qui sont à « adopter », à prix libres. Ils s’adressent aux abonnés, tout comme les pièces à prix libres. Il y a différentes tailles, des vélos enfants, des VTT, vélos de courses… Ils ont déjà eu une autre vie avant, voire plusieurs, ils ont une histoire.

D’où vient ta passion pour le vélo ?

J’ai eu le déclic un peu sur le tard. J’ai fait beaucoup de vélo pendant mes années d’études, par praticité. J’ai fait mes études à Lyon, j’ai pédalé sur les bords du Rhône, c’était super agréable. A la fin de mes études, j’ai fait un long voyage de deux mois en Italie avec des copains, à vélo. Et je crois que, sans que je me le dise, ça a été un premier déclic. Après, la vie a fait que, habitant à Lille, j’ai rencontré des gens qui montaient un atelier comme ici, « Les Mains dans le Guidon ». Petit à petit, j’ai noué des amitiés avec ces personnes et je me suis faite embaucher dans l’atelier. J’ai travaillé 7 ans là-bas. C’est avec eux que j’ai appris aussi toute la mécanique, parce qu’en fait je n’ai pas un diplôme de mécanicien cycle.

Et tu as fait des études dans quel domaine ?

Je suis ingénieure agro ! (rires)

C’est vraiment un changement de trajectoire…

Complètement ! Pendant le voyage à vélo en Italie, je me suis dit plusieurs fois, plutôt de façon inconsciente, que je n’avais pas du tout envie de m’enfermer dans un bureau tout de suite… ni jamais peut-être ! Et finalement, qu’est-ce qu’on est bien sur un vélo : Alors effectivement, quand on travaille dans le vélo, ça ne veut pas dire qu’on en fait toute la journée, mais en tout cas on parle vélo, on pense vélo.

Mais ce qui est drôle, c’est que pendant mes années d’études, j’ai passé un week-end dans un atelier d’auto-réparation de vélo à Lyon, en mode associatif. Il fallait démonter complètement le vélo, et comprendre les mécanismes, et le remonter. J’étais en binôme. Mais je n’ai absolument rien compris ! C’était complètement abstrait pour moi, ces histoires de câbles qui passent dans des gaines, je ne comprenais pas du tout. Je suis sortie de là en me disant : on ne peut pas être douée pour tout dans la vie, et ça c’est pas pour moi! Comme quoi, il ne faut pas parler trop vite !

Comment en es-tu venue à t’installer à Morlaix ?

On habitait à Lille avec mon compagnon. On a une partie de nos familles respectives qui habite dans le Morbihan et les Côtes-d’Armor.

En plein voyage à vélo on est arrivés à Morlaix, un jour où il faisait très beau, jour de braderie donc le centre-ville était piétonnisé. On s’est dit « Waouh cette ville est piétonne, mais c’est incroyable ! ». Bon, ce n’était qu’une seule journée (rires)… Mais on a eu carrément le coup de cœur pour Morlaix, et on est venus s’installer. Je me suis pas du tout dit que j’allais monter un atelier de vélo, même si j’avais travaillé longtemps dans le domaine. Je n’avais pas du tout ça en tête. Et puis on a été bloqués deux-trois fois avec nos vélos, qu’on n’a pas pu réparer chez nous parce qu’on n’avait pas les outils. Ca m’a énervée de ne pas avoir les outils alors que je savais le faire. Du coup j’en ai parlé un peu autour de moi, aux gens que je rencontrais, et notamment à l’association Morlaix à Pied et à Vélo (APAV). On m’a suggéré d’ouvrir un atelier ici. Ca a commencé à mûrir doucement dans ma tête. Je me demandais si ça allait pouvoir marcher dans une ville comme Morlaix, qui n’est pas une très grande ville et qui est très vallonnée. J’ai un peu tâté le terrain et je me suis finalement lancée. J’ai trouvé ce local dans le centre. Et cela fait maintenant un an et cinq mois que c’est ouvert. Pour l’instant les gens ont l’air très contents, il y a du monde tout le temps, même en hiver. Et puis c’est super de voir les gens qui sont contents d’apprendre à réparer, qui sortent d’ici en ayant acquis des compétences. Le vélo n’est alors plus le même objet, une fois qu’on l’a réparé soi-même. On comprend ce qu’on fait, et on saura peut-être le refaire.

Et comment vois-tu la place des femmes dans le milieu du vélo, qui est quand même encore très masculin ? Notamment dans le domaine de la mécanique.

Je pense que les choses sont en train de bouger, même si selon moi c’est encore trop lent. Ca bouge grâce notamment aux courses grand public, professionnelles, mais qui sont diffusées largement. Ici à l’atelier, au vu du fonctionnement particulier, les gens ne sont pas surpris de me voir, ce n’est pas un magasin de vélos classique. Mais il y a aussi quelques personnes qui me demandent si le mécano est déjà parti… Dans ces cas là, je ris et je réponds « oui, repassez demain ! » (rires). Et le lendemain, c’est encore moi! Et je leur explique que je suis le mécano. Mais en réalité, c’est eux le mécanicien car on va apprendre à le faire ensemble.

Par contre, il y a quelques années, j’ai fait un passage dans une grande surface de sports. Je faisais de la vente au rayon vélo de route. Et des clients venaient me voir en demandant si il y avait quelqu’un d’autre à qui parler… Et au téléphone, c’était pire. On me prenait pour la secrétaire. Donc je m’excusais, je les faisais patienter un instant, et après je répondais avec une grosse voix. (rires).

Mais je pense que c’est en train de changer partout. Et c’est vrai que c’est aussi compliqué pour tout le monde, car c’est culturel. Il faut se rééduquer.

Mais en tout cas ici à l’atelier, c’est très souvent moité hommes – moitié femmes. Et il y a aussi parfois uniquement des femmes. Et lorsque des hommes entrent dans ces moments là, ils pensent que c’est un atelier en non-mixité. Certaines fois, les femmes vont leur expliquer comment faire et leur filer un coup de mains. C’est génial !

Ce qu’on remarque aussi pas mal dans les courses amateurs d’ultra-distance, qui sont en mixité, c’est que plusieurs éditions ont été gagnées par des femmes. Quand on parle d’endurance et de mental, finalement on inverse un peu la donne. C’est chouette.

Tu fais partie aussi des Rideuz, le groupe de cyclistes morlaisiennnes…

Oui. Le groupe est né le 8 mars 2024, date symbolique, puisque c’est la journée internationale des droits des femmes. J’ai été assez surprise, puisque au début je pensais que pour ce genre de sortie en non mixité, on allait se retrouver à 5. Et en fait, on était 50 ! On a explosé les scores justement parce qu’on était entre filles. Il y avait un besoin, un enjeu. Je me suis intéressée à la question, et il s’avère que pour certaines, c’était un problème de sortir en vélo avec des hommes : être toute rouge en haut de la montée, être en collant, parler de ses soucis de fesses douloureuses sur le vélo… elles n’avaient pas envie. Et on ne se sent pas spécialement les bienvenues lors des sorties du dimanche qui regroupent souvent les hommes, parce que ça roule vite, parce qu’on a autre chose à faire, et parce qu’on a envie aussi de prendre un espace pour nous.

Depuis, le groupe perdure. L’idée c’est que si une fille veut proposer une sortie, elle en parle sur le groupe whatsapp, et viennent celles qui veulent. Ce sont des sorties très sympas, avec beaucoup de bienveillance : on s’attend… Mais ça peut rouler fort aussi ! C’est ouvert également aux vélos électriques. Les enfants sont aussi les bienvenus. Lors de la sortie du 8 mars 2024, ce sont les hommes qui se sont occupés du ravitaillement. Une façon d’inverser les rôles !

Selon toi, comment faire pour développer davantage l’utilisation du vélo au quotidien ?

Il y a des leviers politiques qui ne sont pas encore actionnés. Ce sont des choix qui sont faits à certains moments, dans des villes. A Morlaix, géographiquement et topographiquement, la situation est compliquée. C’est une cuvette, ça grimpe des deux côtés. Mais c’est vrai que depuis l’avènement et l’essor du vélo électrique, on n’a plus d’excuses. C’est un vrai outil qui permet à tout le monde de soit se remettre au vélo, soit d’en faire dans des endroits où ça grimpe fort.

Je pense aussi que les grandes villes ont dix ans d’avance sur les plus petites villes et villes moyennes. Mais il faut qu’on rattrape le retard. Il y a quand même beaucoup plus de « vélotaffeurs » depuis 3 ans. Toute l’année on voit maintenant des gens à vélo. On sent qu’au niveau du citoyen, ça avance. Maintenant il faut pouvoir suivre, avec des infrastructures qui mettent les gens en sécurité. Il faut partager l’espace public. Je ne dis pas qu’il faut chasser toutes les voitures des centre-villes, mais il faut réussir à trouver un terrain d’entente, sachant qu’aujourd’hui cet espace est grandement réservé aux voitures.

Quels conseils donnerais-tu à une jeune fille qui voudrait se lancer dans la mécanique vélo et ouvrir son atelier ?

Aujourd’hui il y a plein de formations qui existent. Ca a un côté rassurant quand on veut se lancer. Il ne faut pas avoir peur, ce n’est pas un univers réservé aux hommes. C’est un milieu super. On peut y faire plein de rencontres. Pour moi le vélo c’est aussi ça, il touche toutes les catégories sociales et générationnelles de la population. Des jeunes, des moins jeunes, des gens qui ont peu de budget et qui ont besoin absolument d’un vélo pour aller travailler. D’autres qui se font plus plaisir avec de beaux vélos de voyage. Le vélo, ça parle à tout le monde. C’est presque universel. C’est aussi ça qui me plaît dans mon métier. L’atelier est aussi un lieu où les gens se côtoient. Des personnes qui ne se seraient peut-être croisés nulle part ailleurs !

Marie-Emmanuelle Grignon