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Portrait de femme n°17. Emilie Cariou-Ménès ou la fibre de l’engagement social et solidaire

Rencontre avec Emilie Cariou-Ménès, chargée de mission au pôle ESS du Pays de Morlaix. Juriste de formation, elle évoque son parcours au sein du milieu de l’économie sociale et solidaire et l’étude qu’elle a réalisée sur le projet de tiers-lieu des transitions en pays de Morlaix. Ainsi que l’engagement et la curiosité intellectuelle qui la caractérisent.

A quelques encablures du centre ville de Morlaix, sur la route de Garlan, se dresse le château de Kerozar. Dans son parc, riche de nombreuses espèces végétales dont un tilleul sûrement plusieurs fois centenaire, se cache un bâtiment qui est le siège d’une belle diversité lui aussi, mais de structures. C’est là que travaille depuis maintenant deux ans et demi Emilie Cariou-Ménès, au sein de l’Adess du Pays de Morlaix, le pôle de développement de l’économie sociale et solidaire. « C’est une association, il en existe 18 autres en Bretagne. On travaille tous à l’échelle d’un Pays, par exemple ici sur trois intercommunalités », explique la jeune femme. « Nous sommes financés en majorité par la Région Bretagne, sur le développement économique de l’entrepreneuriat ESS, un axe « promotion » de projets collaboratifs. On sensibilise aussi à l’économie sociale et solidaire, par le biais d’intervention auprès des scolaires par exemple, ou sur des choses un peu plus pointues en fonction de la demande de nos structures adhérentes, qui sont 58 aujourd’hui », poursuit-elle. Les questions de mobilité, d’énergie, d’enseignements, d’éducation, et d’autres…sont ainsi abordées par l’Adess Morlaix, ses deux salariées et ses adhérents. « Nous faisons aussi de l’animation territoriale, ce n’est pas quelque chose qui est figé, on réagit en fonction des thématiques qui remontent des territoires, par exemple ici la question des transitions », précise Emilie.

Droit du patrimoine, ruralité, et habitat groupé

Mais qu’est ce qui l’a poussée à s’investir dans ce grand champ des possibles qu’est l’économie sociale et solidaire ? « On va dire que j’ai toujours eu la fibre de l’engagement », sourit-elle. « J’ai été élevée comme ça, ainsi que dans une grande curiosité intellectuelle. On m’a laissé faire mes propres choix ». La découverte de l’ESS s’est faite cependant assez tard dans son parcours. Juriste de formation, Emilie suit ses trois premières années de formation à la fac de Brest, dans un parcours mi-privé mi-public, hésitant à choisir. « En master, je me suis spécialisée en droit du patrimoine, parce que je voulais travailler dans le milieu de la ruralité », rembobine-t-elle. Elle effectue alors un stage de six mois au sein d’un syndicat agricole, qui lui a permis de découvrir un type de militantisme qui ne lui convient pas. « Cela me dérangeait car il n’y avait pas d’intérêt porté aux gens, à l’humain ». Une expérience qui lui a fait prendre conscience de ce qu’elle ne voulait pas dans sa carrière professionnelle. Elle entame ensuite de nouvelles études, toujours à Brest, cette fois dans un master en droit notarial, afin de « se spécialiser ». Petit effectif, grandes discussions, et ambiance pleine de motivation : Emilie s’y sent bien. La venue d’un responsable d’un master « mutualisme et coopération », recherchant des profils de juristes avec une spécialité patrimoine, l’amène à vouloir compléter sa formation et à y candidater. Elle est retenue dans ce master pro, et doit maintenant trouver un stage. Elle passe alors un entretien dans une grande banque coopérative, mais n’en sort pas complètement convaincue. C’est à ce moment que les routes de la jeune finistérienne et de l’économie sociale et solidaire vont vraiment se croiser : après un envoi de CV au tout jeune pôle ESS de Brest, la salariée l’appelle pour travailler sur la question des bailleurs sociaux et des porteurs de projets en habitat groupé. « Je n’y connaissais rien », avoue Emilie, qui accepte cependant de les rencontrer, dans une petite épicerie éthique de la ville. « Le courant est super bien passé, j’ai senti une certaine chaleur humaine avec la coordinatrice et le co-président de l’époque ». Emilie fait alors son stage durant neuf mois au sein de la structure, sur la mission qui lui est proposée. « On est en 2012, il n’y a pas encore la loi Alur, c’est le défrichage total ! Je passe une année d’étude complètement folle à découvrir un sujet qui me passionne, je monte un comité de pilotage, un comité d’études, avec des universitaires, des collectivités, des associations… ». Elle découvre aussi les premières missions du pôle ESS. « Il faut aller au charbon, voir les élus. On a de la chance à Brest d’être accueillis dans les locaux de Don Bosco, avec aussi l’antenne finistérienne de la Cress (Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire, ndlr). L’occasion d’un « apprentissage en accéléré ».

Son stage fini, Emilie a envie d’aller plus loin, de poursuivre son compagnonnage avec l’ESS, et de continuer sur la question de l’habitat groupé. Alors pourquoi pas un parcours de thèse, avec l’Adess Brest ? Emilie devient au même moment adhérente de l’association, et rapidement propulsée au conseil d’administration. Et devient carrément co-présidente la même année ! « Une ascension fulgurante au sein de l’ESS » rigole-t-elle. Elle s’investira à ce poste durant neuf ans, et verra éclore de nombreux projets, dont la monnaie locale Heol et le groupement d’employeur associatif, le Geai29. Et continuera le travail entamé sur l’habitat participatif, avec de nombreuses visites et rencontres sur le sujet au travers la Bretagne. L’occasion de découvrir une Economie Sociale et Solidaire un peu différente, portée par des citoyens militants et des structures, qui placent tous et toutes l’humain au premier plan, et qui « le démontrent tous les jours ».

Après 10 ans faits d’engagement sur le terrain, d’un mandat d’élue locale, de cours dispensés à l’université et d’un parcours de thèse, Emilie décide de tout arrêter et de « prendre du temps » pour elle. « Il y a un trop plein, je n’yarrive plus. Je suis tellement partout que je ne suis finalement nulle part ».

Mais l’appel de l’ESS se fait sentir…

Un poste se libère sur Morlaix, pour un remplacement de congé maternité, à temps partiel. Emilie hésite, prend conseil, et finalement dépose sa candidature au dernier moment. Retenue en entretien, elle est prise pour le poste. On est alors en pleine période de covid. Pas forcément évident…Mais l’essai sera transformé car on lui propose de rester, une fois la salariée en poste revenue.

La possibilité d’un « tiers-lieu des transitions »

Elle travaille alors sur une mission dédiée à un projet de « tiers-lieu des transitions ». « L’idée d’avoir un nouveau lieu surgit régulièrement lors des assemblées générales de l’adess Morlaix depuis quelques années », précise-t-elle. Un souhait des adhérents couplé au fait que les locaux de Kerozar, occupés depuis 2017, deviennent étroits, et sont de surcroît obsolètes du point de vue énergétique.

Emilie se lance alors durant un an, de novembre 2021 à octobre 2022, dans un grand diagnostic, soutenu financement par le programme européen Leader et par Morlaix Communauté. « Nous, on a cette idée de lieu, d’évolution, qu’on voit remonter,, mais ce qu’il faut qu’on approfondisse, c’est de savoir si c’est un projet du territoire ou de nos adhérents, ce qui n’est pas la même chose », observe-t-elle. Un questionnaire est alors lancé, suivi par des entretiens individuels. Mais il faut tout d’abord préciser cette notion de tiers-lieu, pas toujours simple à appréhender. « La question, c’est de savoir ce que nous, on veut mettre derrière ce mot », affirme Emilie, qui a alors réalisé tout un travail de recherche, comme en écho à son expérience autour de l’habitat groupé à Brest et à son passé à la fac. « On finit par se dire que sur le territoire, on ne veut pas exclure de gens, mais les amener à prendre conscience de ce que la notion de tiers-lieux inclut par l’ancrage territorial, la communauté d’acteurs, la réponse aux besoins des habitants, le faire ensemble. Par exemple dans la définition qui est faite par le Larousse il n’y a pas forcément le tiers-lieu en tant qu’initiative de collectivités, eu égard aux critères précités, mais ici ça existe, ça fait aussi partie d’un ensemble qui est plus complexe que ça ». Fab labs, tiers-lieu agro-culturel, cafés associatifs, espace de co-working…La chargée de mission constate qu’il existe tout un maillage de « tiers-lieu » en Pays de Morlaix. Elle en recense ainsi plus de 90, dont la moitié sont par ailleurs des bibliothèques et médiathèques.

Vient alors le temps des questionnaires, qui permet « de déterminer ce que les personnes interrogées mettent derrière le terme de « tiers-lieu des transitions ». Au fil du travail de traitement des 120 réponses obtenues, suivis d’une vingtaine d’entretiens, la jeune femme s’aperçoit que plus de la moitié des sondé.e.s perçoivent un tiers-lieu des transitions comme un « lieu physique », fonctionnant autour d’une dynamique collective, avec du lien social et des solidarités, central, et accessible facilement. L’association des acteurs, le travail en coopération semble aussi primordiale. L’une des thématiques qui ressort est celle « des bâtiments : tout ce qui est habitat, éco-habitat ». « C’est un thème fort sur le pays de Morlaix », note Emilie. Autre fait marquant : la grande place faite à la jeunesse dans les réponses, et la nécessité de faire réseau. Certain.e.s imaginent également des espaces de documentation, d’information sur les transitions, avec pourquoi pas un fab lab, et plus largement d’espaces de créativité. « L’idée, c’est aussi que chacun enrichisse le lieu, et que les rencontres soient favorisées ». L’étude, close, a été présentée lors d’un temps d’échange, et une rencontre a été organisée entre les différents tiers-lieux du Pays de Morlaix. « Il y a aussi un groupe de travail qui a été monté au sein du Conseil d’Administration de l’Adess ». La réflexion suit donc son cours, avec des demandes de financement encore en attente. « Qu’est ce qu’il va se passer ensuite ? Je ne sais pas encore », avoue la chargée de mission. « En tout cas il y a une envie des acteurs ». Pour l’instant la priorité est mise sur le partenariat Résam/ Ulamir/ Pôle ESS relatif à une étude sur la structuration des coopérations en terme de transitions sur le territoire mené par le Résam et accompagné parla Fonda. « On sent qu’il y a une envie d’avancer sur toutes ces questions », souligne la jeune femme, pour qui ce diagnostic a été l’occasion de renouer avec le monde de l’université, qui est lui est cher. « Il a fallu que je me réabonne à la BU, que je retrouve mes réflexes de chercheuse, ça m’a fait plaisir. J’ai cette curiosité intellectuelle, ça me titille ». Les rencontres ont été également riches, avec de nombreux acteurs et actrices locaux du secteur de l’économie sociale et solidaire. « J’ai aussi fait pas mal de mise en réseau, ce qui fait partie aussi de notre travail d’animation territoriale ». Une mission qui a permis à Emilie, outre l’intérêt évident pour l’Adess de travailler sur ce thème, d’être dans une belle démarche de stimulation intellectuelle, qui lui tient à cœur. Celle qui avoue en riant « avoir quinze nouveaux projets en tête par minute » voit les transitions comme un « sujet et un défi qui nous dépassent », « où chaque petits pas compte ». Il faut alors « réussir à travailler ensemble, en équipe, et pas sur une seule thématique. C’est transversal, il faut arrêter de cloisonner, de penser en silo ». Si tout ne va pas aussi vite que voulu, ce n’est finalement pas si grave pour Emilie, pour qui, avec des « petites graines », les choses commencent à avancer, telle la fameuse fable du colibri.

 

 


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