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A Morlaix, un atelier thérapeutique artistique s’invite aux Jardins de la Manufacture

Tout une journée à la rencontre du végétal – à la fois botanique, artistique et poétique – pour un petit groupe de l’association Stand-Art. Avec au programme : visite des Jardins puis atelier tataki zomé.

Celles et ceux qui fréquentent régulièrement Eco-Bretons auront remarqué le vif intérêt que nous portons à certains lieux et à leurs interlocuteurices, au point de leur consacrer plusieurs sujets au fil du temps. Ainsi en va-t-il des Jardins de la Manufacture des tabacs à Morlaix et de Tiphaine Hameau, l’artiste-jardinier qui depuis 2019, en prend soin de façon si singulière, c’est-à-dire avec grand ménagement (notre article : https://www.eco-bretons.info/rencontre-tiphaine-hameau-en-ce-lent-jardin/) . Il peut désormais compter sur un autre jardinier, Glenn Michel pour bichonner le lieu.

Pour autant, il importe à Tiphaine de faire découvrir à différents publics l’univers végétal et animal foisonnant de ces jardins. Outre les visites pour tous les publics, en accès parcimonieux libre ou guidé, il y accueille plus longuement, des étudiant.es en stage, comme ceux et celles de BTS Aménagements Paysagers (AP) du CFA/CFPPA de Kerliver à Hanvec et de BTS – Gestion et protection de la nature (GPN) du lycée d’enseignement général et agricole de Suscinio à Morlaix (1); ou encore des ados de l’Institut médico-éducatif de la Fondation Massé-Trévidy qui participent régulièrement depuis plus d’un an à des travaux de jardinage bien différents de ce que l’on enseigne d’ordinaire en matière d’entretien d’espaces verts.

Une rencontre avec la biodiversité également on ne peut plus propice à des résidences et rencontres artistiques (2), comme celle actuellement en cours avec Laura Conill et Morgane Lohazic (nous vous en reparlerons au début de l’automne).

Car arts et nature se nourrissent mutuellement si bien. Ajoutons à cela la dimension thérapeutique de leur fréquentation et nous touchons au but de notre propos, avec la journée particulière qu’a vécu un petit groupe de personnes, emmené par l’Atelier Thérapeutique Artistique (A.T.A.) de l »association Stand-Arts (https://www.stand-arts.org/) et l’une de leurs artistes-intervenantes, Hannah Montoux-Mie*, également médiatrice culturelle au sein de l’association Les Moyens du bord, qui mettait à disposition sa Fabrique de proximités pour la partie atelier de pratique artistique.

L’art et la thérapie selon Stand-Arts

Créée en 1998, l’association morlaisienne Stand-Arts est venue compléter le dispositif de soins de l’Atelier Thérapeutique Artistique (A.T.A.) au sein du secteur 5 de psychiatrie du Centre Hospitalier des Pays de Morlaix.

Cet Atelier Thérapeutique offre aux patient.es en difficultés psychologiques la possibilité d’exprimer leur créativité par le biais de différentes pratiques – peinture, sculpture, théâtre et animation radio – avec l’aide de soignant.es, et d’intervenant.es artistiques.

Stand-Arts précise ainsi sa démarche : « Dans nos Ateliers, nous nous situons dans  » l’art et la thérapie », et non pas dans l’art-thérapie. C’est-à-dire qu’il y a des rôles distincts de soignants et d’artistes intervenants, pour nous protéger de la confusion des rôles et nous éloigner de la toute-puissance. Nous nous intéressons davantage à la dynamique autour de l’oeuvre créée et à l’évolution du créateur. Nous ne sommes pas dans l’analyse de l’oeuvre, mais dans l’accompagnement. Nous ne sommes pas dans l’Art Brut, puisqu’il va falloir, à tout un chacun, intégrer des données de l’artiste-accompagnant du moment.  L’atelier artistique favorise et valorise la créativité individuelle avec l’aide de soignants qui accompagnent une évolution de restructuration personnelle, et celle d’artistes qui suscitent l’intérêt et l’imagination tout en apportant un éventail de techniques. »

Pour cette année, Hannah Montoux-Mie est l’intervenante en peinture des ateliers thérapeutiques. La parole lui est ici donnée pour expliciter sa démarche :

« Il faut savoir que je ne suis pas peintre, mais j’ai un rapport à la couleur, à la teinture et à la composition dans mon travail artistique, souvent de manière abstraite. 

L’équipe de l’ATA trouve intéressant justement que les approches artistiques varient d’un.e artiste et d’une année sur l’autre. Nous sommes donc partie depuis janvier sur une façon de « peindre » assez dynamique, où le corps se déplace, les supports sont souples (nous utilisons principalement du tissu), les mains trempent, mélangent, tordent, recherchent. L’accident devient découverte et fil conducteur pour raconter nos histoires plastiques. Fin mai, nous avons montré nos premiers travaux au Tempo (travail autour du shibori et du batik), et nous ferons une deuxième exposition en novembre-décembre à l’Hôtel de ville de Morlaix.

Je trouve très intéressant de faire groupe pendant une année entière, au fil des saisons. Elles ont personnellement, une présence dans ma façon de travailler, qui s’accompagne et se nourrit de leur mouvement, de leur temporalité particulière, des couleur et matériaux qu’elles proposent. Je suis attentive à ce qu’elles me racontent, ce qu’elles modifient et leurs effets sur mes sensations.

À ce titre quoi de plus naturel que de travailler en extérieur à certains moments de l’année ? De façon à s’immerger et de sentir le territoire que l’on habite.

C’est dans un premier temps via les Moyens du bord que nous avons pu rencontrer Tiphaine Hameau. J’avais déjà eu un petit aperçu des jardins grâce à une visite l’année passée qui m’avait fait forte impression. Comme sa connaissance des lieux s’accroît aussi avec le temps, en même temps que sa métamorphose, il y a quelque chose qui ne se fige jamais et reste absolument passionnant.

Nous nous sommes rencontré en mars dernier avec l’équipe soignante de Satnd-Arts, lors d’un moment suspendu où Tiphaine nous a parlé de sa pratique et de son rapport à ce lieu. Nous nous sommes dit que c’était déjà une telle expérience artistique et poétique que de visiter cet endroit avec lui, qu’il fallait l’accompagner d’une expérience plastique très simple et instinctive, en lien direct avec les essences présentes, au sein même des jardins. L’idée du tataki zomé (art de l’impression végétale sur tissu) est apparue. »

Tout une matinée à la rencontre des Jardins de la Manufacture

En cette journée de juillet que les prévisions météo annonçaient venteuses et orageuses mais qui s’avéra finalement ensoleillée, un petit groupe composé de patientes et de membres de l’équipe soignante de Stand-Arts s’est donc retrouvé devant la haute grille d’entrée des Jardins. Le groupe a été accueilli par Tiphaine Hameau et par Hannah Montoux-Mie, qui est également médiatrice culturelle de l’association Les Moyens du bord.

Guidé par les explications et anecdotes de Tiphaine, le groupe a ainsi parcouru durant plusieurs heures cet écrin de nature en pleine ville : une visite qui prenait des allures de découverte à la fois botanique (avec ce tilleul si particulier….) et historique (les jardins étant indissociable de l’histoire de la Manufacture des tabacs), tout en sollicitant fortement les sens. Sans oublier de prélever quelques végétaux pour l’atelier de l’après-midi à venir.

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Les retours des membres du groupe ne laissent pas de doute quant à leur appréciation de cette matinée :

« J’ai trouvé la visite des jardins très intéressante, impressionnante. Des jardins qui conservent l’histoire du lieu. Un mélange de nature ordonnée et laissée naturelle. Visite inspirante pour mon jardin.

« Nous avons eu de la chance que la météo soit clémente. Ces effets de lumière sur les créations de Tiphaine – personne méticuleuse – étaient splendides,. J’ai apprécié le récit de l’histoire des jardins, j’aurai pu y rester des heures. »

« Une promenade très enrichissante sur l’histoire des jardins. Le jardinier était très ouvert et son récit très intéressant. »

« Visite très enrichissante de ces jardins exceptionnels, cachés et préservés. Le jardinier était passionné et à l’écoute. »

« Super journée du 7 juillet, le jardin c’est super ! La balade était très instructive. »

« On sent que les jardiniers sont passionnés. La visite est très intéressante et on a envie d’y retourner pour les ouvertures et profiter de l’ambiance de manière un peu moins studieuse, car la visite guidée empêche quand même l’esprit de vagabonder. »

Atelier tataki zomé où l’art de l’impression végétale

En début d’après-midi, direction la Fabrique de proximités, l’atelier de pratiques artistiques de l’association les Moyens du bord où le groupe allait donc s’initier, sous la houlette d’Hannah Montoux-Mie, au tataki zomé, unart ancestral japonais d’impression végétale consistant à marteler sur un tissu des végétaux fraîchement cueillis. Cet art porte très bien son nom puisqu’en japonais, tataki signifie « marteler » et zome signifie « teindre ».

Là encore, des retours sans équivoque des membres du groupe, avec cependant un petit bémol, à savoir la gêne occasionnée par le bruit du martelage :

« Atelier bien. Intéressant de voir le résultat, surtout après le passage dans la soupe aux clous**.

« Le Tataki-zomé, belle expérience et belle surprise sur le tissu. »

« Le tataki-zomé avec Hannah c’était super … j’ai été bluffée! »

« J’ai adoré l’atelier tataki-zomé : la technique, le rendu, très surprenant.« 

« Quant à l’atelier, sensibles aux bruits forts : prévoyez vos casque anti-bruit. Mais le résultat est si chouette qu’on a envie d’essayer sur ses vêtements en rentrant à la maison. »

Pour Hannah, « le tataki zomé est toujours un moment assez magique où le végétal s’imprime avec extrêmement de précision sur le tissu. Détail que je n’avais pas encore rencontré auparavant : sur certaines feuilles (notamment de chêne) que j’ai décollées après les avoir martelées, j’ai pu observer que la fibre du tissu s’était aussi imprimée, comme un motif sur la feuille. Tissu et végétal se sont échangés leurs trames.

Je repense aux paroles d’une participante du matin, qui m’a dit être arrivée en petite forme, et être tellement touchée par le lieu et par la pratique de ses artistes-jardiniers, que les nuages en elles s’étaient un peu dissipés, pour laisser place à l’enthousiasme. Peut-être qu’elle préférerait le dire par elle-même, mais je me suis sentie proche de son ressenti, moi-même étant assez préoccupée ce matin-là, j’ai pu constater que le moment aux jardins m’avait immédiatement ancrée dans le plaisir du présent, de la nature et de notre journée d’ateliers. »

Les Jardins, lieux privilégiés d’un rapport poétique au monde

Nous céderons la parole de conclusion à Tiphaine Hameau sur le bilan de cette collaboration avec Stand-Arts :

« Lors de ces deux visites j’ai constaté une nouvelle fois ô combien la situation des jardins et leurs caractères bénéficiaient à qui le cours des choses était instable, entravé de multiples obstacles et, en règle générale, à qui se laissait porter par ses émotions. Malgré les difficultés d’accès à ces jardins et que l’on retrouve en les arpentant, j’entends, j’observe l’apaisement qu’ils procurent. Il faudrait convoquer Bachelard pour rendre à ses murs leur appartenance à la maison, au foyer, à la matrice originelle peut-être, cette enveloppe charnelle première qu’on cherchera sous les draps, dans un coin de la chambre, au grenier, un sentier creux, assurément dans le jardin quand il est entouré de murs ; et nos murs à La Manu sont hauts et parés de verdure, on a même dans le jardin du directeur une sorte de toit végétal, il faudrait convoquer aussi le bain de forêt japonais, les lumières qui se propagent au coeur de ce jardin fragment de forêt sont parentes peut-être des lumières recherchées en thérapie, n’avons-nous pas sous les yeux une sorte de maison « glaz » qui nous entoure, nous protège, nous apaise ? 

Et, quoique ma présence signifie un aménagement du site, je cherche à maintenir la sensation que j’ai ressentie à la découverte des lieux en juillet 2019, une émotion forte à laquelle l’enceinte bâtie concourait, m’emportant dans quelque songe mystérieux dont on ne sait s’ils sont l’annonce de jours à venir ou de ceux qui nous ont vu venir…

A l’avenir, c’est dans le verger, le premier des deux jardins, que je souhaite apporter un caractère symbolique et spatial qui je crois lui manque. »

(1)https://www.eco-bretons.info/de-jeunes-pousses-prometteuses-dans-les-jardins-de-la-manu-de-morlaix/

(2) https://www.eco-bretons.info/a-la-manu-de-morlaix-ce-que-les-artistes-font-aux-jardins-ce-que-les-jardins-font-aux-artistes/?print=prin)

(3) Hannah Montoux-Mie vit et travaille en France, où elle développe une pratique du dessin, étroitement liée à la sculpture. Bien qu’affirmant un rapport poétique au monde, son travail est toujours traversé par des préoccupations environnementales. https://www.hannahmontouxmie.com/

(4) Appelée également boue ferrugineuse, la soupe de clous est un mordant utilisé en teinture. Composé de sulfate de fer, il fonce la couleur des pigments et permet d’obtenir des verts céladons à kaki à partir des jaunes, des gris et des noirs avec une décoction à forte teneur en tanins.

Crédits photos : Stand-Arts, Hannah Montoux-Mie, Eco-Bretons.

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