L’Ortie en Majesté
Il est des couronnes, de très grande valeur, que l’on peut tresser sans craindre d’attirer les convoitises de grands bandits. Celle qui en mérite amplement une, et sur laquelle nous allons nous pencher au fil de plusieurs articles, parce qu’elle pique notre curiosité à bien des égards, c’est Sa Majesté l’Ortie.
Plante-compagne des activités humaines (dite rudérale), si mal aimée et pourtant si essentielle, c’est une vivace de la famille des Urticacées, considérée par les naturalistes comme une espèce clé-de-voute car elle nourrit notamment plusieurs espèces de papillons en forte voie de régression, donc importante pour la biodiversité.
Deux personnes de qualité nous invitent à reconsidérer notre regard sur elle. A commencer par le regretté Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste de renom qui, dans son ouvrage de référence « Le livre des bonnes herbes » (Actes Sud, 1996), consacre à l’ortie huit magnifiques pages, qu’il entame ainsi :
« Depuis combien de millénaires dure cette guerre brûlante entre l’homme et les orties ? Existaient-elles même, ces plantes détestées, avant que le premier campement, la première hutte, n’eusse révélé le premier groupe humain ? Car les orties suivent l’homme partout, poussent littéralement sur ses traces. On met souvent en cause leur avidité pour l’azote, qu’elles trouvent en abondance, sous forme de nitrates et d’ammoniaque, dans les dépôts de détritus, aux alentours des fermes, au pied des murs, mais regardez ces vieilles ferrailles, en plein champ, voitures d’un temps très ancien, palais d’été du rouge-queue et du troglodyte, où les orties, drues et vertes, aiguisent leurs poils vénéneux à la brise : se nourrissent-elles ici de fer dissous – l’ortie contribue à débarrasser le sol de son excès de fer car elle élabore l’oxyde de fer libre, écrit E. Pfeiffer (Fécondité de la terre, 1966) -, des housses défoncées ? Ne seraient-elles pas plutôt déléguées par le peuple des herbes pour vivre de nos souillures et, s’en nourrissant, pour les effacer ? Nous avons coutume d’y voir des ennemies, les plus haïssables des plantes ; il est vrai qu’elles sont rébarbatives, que les grâces de la couleur, du parfum, leur ont été refusées, qu’elles brûlent dès qu’on les frôle, mais nous leur pardonnerons ces disgrâces (quand on vit aussi près de l’homme et des herbivores, ses alliés, il faut bien s’en défendre) en apprenant leurs innombrables vertus. »
Des vertus qui n’ont pas échappé à Marie-Monique Robin, journaliste d’investigation et auteure-réalisatrice de documentaires tels que « Le Monde selon Monsanto » et plus récemment « Vive les microbes », laquelle déclarait dans une interview accordée au journal Le Monde, en novembre 2019** : « En 2012, on m’a proposé d’être la marraine du festival Orties Folies, le rassemblement annuel des amoureux de cette plante. Et, là, j’ai découvert les mille façons de l’utiliser : soupe, jus, flan, confiture, beignet, gâteau, sirops, savon, crème, shampoing, tissu, purin (c’est un fertilisant et un insecticide naturel)… J’ai aussi appris qu’elle était nutritive, riche en vitamines, minéraux, protéines, mais aussi tonique, régénérante, dépolluante… Cela a changé ma vie. L’ortie est devenue pour moi un symbole de résistance que l’agriculture industrielle et chimique s’évertue à détruire. »
Et Pierre Lieutaghi de poursuivre ainsi, dans son ouvrage à la lecture hautement recommandable : « Des livres entiers ont été écrits à la gloire de l’ortie, qui louaient ses propriétés médicinales, industrielles et alimentaires, propriétés bien négligées de nos jours et souvent même ignorées. Puissent les pages qui suivent, simple écho de ces textes lointains, justifier la place de cette mauvaise herbe au premier rang de nos simples et valoir à la vilaine ortie, qui nous aime autant qu’elle nous châtie, quelques regards d’amitié au prochain printemps. »
Nous n’attendrons pas jusque-là puisqu’au beau milieu de cet automne, seront partagés avec vous dans de prochains articles, quelques regards d’amitié tout à fait intéressée, posés sur elle : d’abord ceux de Laura Conill et Morgane Lozahic, deux artistes installées en Finistère qui ont eu une forte histoire de fibre(s) avec l’ortie au cours de leur résidence de recherche et de création dans les Jardins de la Manufacture de Morlaix ; puis celui de Patrick Le Goater, producteur costarmoricain créateur de Purin d’Ortie, entreprise artisanale pionnière en Agriculture Naturelle, spécialisée dans la phytothérapie agricole. Enfin, ceux d’amateurices de cuisine « sauvage » qui nous livreront leurs recettes gourmandes avec l’ortie, puisqu’Urtica dioica (du mot latin urere signifiant « brûler ») a le bon goût de régaler nos papilles sans les agresser. Vous brûlez d’impatience de lire la suite, n’est-ce pas !

