1

Procès pour la viticulture biologique : « Il faut avancer dans nos pratiques »

Deux jours après votre jugement, comment vous sentez-vous ?

Je me sens plus serein aujourd’hui. La pression a été très forte. Lundi a été une journée assez exceptionnelle pour moi avec une mobilisation inattendue. Il y a eu des pétitions dans toute la France et la Belgique, et cela s’est fait sans que l’on soit consultés, avec des initiatives individuelles. Les gens ont spontanément voulu faire quelque chose. C’était une première surprise.

 

Qu’est-ce qui a inspiré votre mode d’agriculture biologique ?

C’était pour moi une chose presque normale. Originaires de la Plaine, mon père a démarré dans les systèmes de viticulture et d’agriculture classiques. À l’époque, il intensifiait sa ferme, son élevage et ses vignes, car il possédait une ferme en plus du domaine viticole. Il était le premier à désherber et à introduire beaucoup d’engrais dans son l’exploitation. À la fin des années 60, il a participé à une conférence sur l’agriculture biologique. Suite à cela, il s’est converti à l’agriculture biologique sur sa ferme. A cette époque, il faisait partie des premiers à se lancer.

Lorsque j’ai repris la ferme, le bio est naturellement devenu un mode de production qualitatif et une identité de terroir pour moi. La dimension environnementale dans le respect du vivant participe à ce type de production que j’applique.
Nous sommes plusieurs personnes à être passées en bio en Bourgogne. Je considère que ce n’est pas parce qu’on est dans le système conventionnel qu’on est un mauvais agriculteur, ou qu’on est dans le système d’agriculture biologique qu’on est bons. Nous sommes certainement dans un moment où l’aspect culturel et sociétal peut faire qu’on va avoir du mal à passer au bio de façon globale.

 

Quelle était votre démarche en refusant l’introduction de ce pesticide ?

La démarche dans laquelle je suis est surtout une question de cohérence globale. Je ne pouvais pas comprendre que dans le cadre d’une lutte collective, on soit amenés à faire un traitement qui était imposé à toute la région. Il y avait une règle qui était d’effectivement appliquer un traitement si besoin lorsqu’un foyer en danger, comme cela a été le cas en Saone-et-Loire en 2011. Dans cette situation un traitement est justifiable. Mais cela a une action sur l’équilibre sur la faune auxiliaire que l’on cherche à maintenir ainsi que dans l’environnement. Quand on peut se passer de traitements, on le fait. Le produit est toxique et il a des conséquences sur différents insectes pollinisateurs notamment.
La maladie n’était pas présente dans notre département. C’était un principe de précaution qui pour moi est pris à l’envers. D’un coté, il y a un préfet qui nous impose des arrêts préfectoraux pour un traitement sur tout notre département, via les Services Région de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt, sous prétexte que nos écosystèmes pourraient être touchés par la maladie. Dans cette dimension, on considère alors que le traitement n’a pas d’impact sur le citoyen et sur l’environnement. C’est une pensée banalisatrice qu’on ne peut plus se permettre de défendre. Selon moi, le débat qui est posé tourne autour de la question: Est-ce que le fondement de cet arrêté préfectoral qui a imposé le traitement s’appuie sur une notion juste ?

 

 

Pourquoi êtes-vous le seul à avoir refusé catégoriquement l’application de ce produit ?

Je n’étais pas le seul à avoir refusé ces traitements. En agriculture, que ce soit dans le modèle conventionnel ou biologique, entre 20 et 30% des professionnels n’ont pas traité leurs exploitations et leurs domaines. En disant ce chiffre, je m’appuie sur le témoignage des distributeurs qui le soulignent. Je suis le seul à avoir été contrôlé et à ne pas avoir pu justifier la facture, mais d’autres ont adopté ce même refus dans la non-application du traitement.

 

Comment qualifieriez-vous le climat de la profession viticole biologique aujourd’hui ?

Le sujet fait débat dans la profession. Aujourd’hui, je pense qu’il nous faut tracer un chemin pour avancer dans nos pratiques. En Bourgogne, nous sommes dans une situation paradoxale où depuis 15 ans on avance dans ces pratiques alternatives biologiques. Mais en définitif, avec cette affaire, il y a comme un focus sur notre région avec une impression reçue qu’elle traite ses plants plus que les autres régions. Or, nous avons besoin de nous mettre autour de la table pour continuer d’avancer dans nos pratiques individuelles et collectives respectueuses de l’environnement. Il faudrait trouver des accords généraux pour avancer et sortir la tête haute de tout cela.

 

Qui est-ce qui vous a aidé ? (Avocat, pétitions, manifestations, associations…)

Avant que la presse s’en mêle, il y a eu des témoignages individuels exprimés assez rapidement de la part de mes collègues viticulteurs biologiques. Il y a également des ONG et d’autres structures de tout les bords, qui se sont manifestées à travers des lettres de soutien. La CAPN de Saone- et Loire a fait un communiqué de presse concernant ma situation, puis le magazine « Basta ! » a fait suivre l’information. Vient ensuite l’AFP, et ainsi de suite…Sandrine Bellier (députée euripéenne EELV ndlr) m’a également soutenu depuis le début en écrivant des courriers aux ministres de l’environnement pour demander le levage des poursuites à mon encontre.

 

Comment peut-on arriver à risquer la prison en appliquant des principes biologiques ?

La réponse se trouve dans la hiérarchisation des étapes qui se succèdent dans notre système, où chaque administration a sa place. C’est une machine en route où tout avance de fil en aiguille. La réponse, nous l’aurons lors de la délibération des jurys, le 7 avril prochain.

 

Vous-êtes vous senti forcé d’appliquer les règles cette loi ? Suite à ce procès, êtes-vous contraint d’utiliser cet insecticide et allez-vous le faire ?

On ne m’a pas obligé à l’utiliser. Fin juillet 2013, la date du contrôle étant à une période où les stades larvaires étaient dépassés. Le PV de contrôle nous a alors dit qu’il n’était pas nécessaire de traiter.

 

Pensez-vous que l’on avance vers une transition agricole ?

Je pense qu’il est évident que l’on avance.
Mais vers quelle transition ? D’un côté, notre ministre de l’agriculture s’est lui-même engagé dans cette transition, et de l’autre côté il y a des services de l’Etat qui agissent à l’envers. C’est incohérent. C’est donc au sein de notre profession que l’on doit essayer de se concilier pour se rassembler et faire avancer cette transition.
 

 

 
Le regard de Jacques Carrojet, viticulteur biologique en Loire-Atlantique :

 

 

Qu’est-ce qui vous a inspiré votre mode d’agriculture biologique ?

Nous sommes passés en mode biologique en 1997, suite à des problèmes d’érosion du sol. Nous avions une maladie de la vigne qui s’appelle la drosophile: lorsqu’elle se développe sur la vigne elle
donne de la pourriture acide. Dans la viticulture « conventionnelle » il n’y avait pas de solution. Nous mangions également bio depuis les années 80, ma mère a fait partie de ceux qui ont créé les premières Biocoop en Semy en 1944. On voulait se mettre en accord avec notre consommation journalière et notre métier.

 

Quelles sont les contraintes d’un agriculteur biologique aujourd’hui, par rapport à un viticulteur conventionnel ?

Cela peut nous ramener à « l’affaire Giboulot » dans le sens où la viticulture biologique vient d’un mode de pensée lié à la protection des végétaux. Celui-ci provient de concepts formalisés lors de la guerre 1914, dans l’utilisation du gaz moutarde dans les Landes. C’est à dire que la décence des végétaux vient du milieu militaire: nous l’avons copié avec l’application du gaz moutarde dans nos cultures. Nous nous basons aujourd’hui sur d’autres traitements, avec lesquels nous essayons de nous défendre d’une attaque en faisant en sorte que le milieu ne soit pas réceptif à la maladie.Des études agronomiques ont déjà été mises en place pour prouver l’efficacité de ces traitements biologiques. Elles ont été passées sous silence. Nous nous inspirons donc de la conscience du milieu dans lequel nous sommes. En ce sens, on peut dire que nous sommes de pensée holiste (ndlr, la pensée qui tend à expliquer un phénomène comme étant un ensemble indivisible)

 

Qu’est-ce qu’engendre l’application du produit imposé par l’arrêté préfectoral dans le traitement de vos cultures ? Est-il vraiment inoffensif ?

Ce n’est pas un produit inoffensif, d’ailleurs il n’y en a jamais pour éradiquer une maladie. Nous recherchons l’équilibre, à partir du moment ou l’on met un insecticide, biologique ou non, une grande partie des insectes présents dans l’écosystème dont nous disposons disparaitront. On risque un déséquilibre et l’arrivée de pathogènes crée une situation difficile à gérer. C’est lorsque l’on tient un équilibre que l’on se rend compte qu’il faut tout faire pour le conserver. En ce sens nous entretenons la vie bio-diversifiée, en installant des haies ou des plantes dans le milieu naturel par exemple.
 

 

Comment en arrive-t-on à la situation que vit Emmanuel Giboulot d’après vous ?

Je pense que cela va plus loin que le militantisme. C’est une réaction par rapport à la cicadelle (ndlr, insecte suceur qui se nourrit de la sève des végétaux grâce à leur rostre. Il est vecteur de la mortelle flavescence dorée. C’est cet insecte que l’arrêté préfectoral ordonnait d’éradiquer en arrachant l’ensemble les plants et en traitant l’ensemble des sols de la région).
Selon moi, il faudrait désinfecter les plants avant leur contamination, au lieu de les traiter après. Nous ne sommes pas protégés par rapport à elle. On sait qu’on est souvent capable de savoir d’où vient la maladie. On savait que la cicatelle était dangereuse mais elle n’était pas présente dans le domaine viticole d’Emmanuel Giboulot. Il n’y avait donc pas de raison de remettre en cause l’équilibre systémique déjà en place. Son action est extrêmement intéressante, et elle nous questionne dans l’ensemble de la profession viticole biologique et sur la façon d’utiliser des traitements. Il s’est mis en danger lui même.  Cela doit nous permettre de remettre sur la table les méthodes imposées.

Est-ce qu’Emmanuel Giboulot est le seul à avoir refusé catégoriquement l’application du produit ?

Il y a 10 ans déjà, des gens refusaient les traitements mais ils ont perdu leur agrément bio. Il y a des zones très bien organisées dans la maitrise de la maladie. À Saint-Emilion par exemple, un réseau d’observation des vignes est en place pour repérer les maladies dont les cèpes sont porteurs.

 

Dans une France où l’on connait de grandes figures de l’agriculture biologique, je pense au philosophe et paysan Pierre Rabhi et son mouvement des Colibris, aux AMAP, à José Bové et son engagement politique… Comment en arrive-t-on à risquer la prison en appliquant des principes biologiques ?

Le respect et l’amour du vivant fait qu’on refuse ses éléments chimiques mortels. Cette sensibilité devient viscérale : on en vient à ne plus le supporter pour soi-même !
Emmanuel Giboulot n’est pas parti en croisade pour dire aux autres de le suivre dans son action. Il a simplement dit « non ». C’est une force pour le respect du vivant qui a motivé son refus.

 

Est-ce que, selon vous, on avance sur la transition agricole ?

Il est vrai qu’on ne nous rend pas le chemin facile par rapport à notre volonté de transition agricole et viticole. Cependant, il y a eu une évolution générale dans la population. Il y a 4-5 ans, les gens achetaient des produits biologiques pour la santé. On nous a présenté un mode d’alimentation où la quantité prime sur la qualité avec une propagande consumériste. On a aussi dit que l’agriculture biologique était chère, alors qu’elle ne l’est pas tant que cela. On ne peut pas comparer nos produits avec ceux des supermarchés ! Les acteurs des AMAP sont dans une démarche de responsabilité qualitative individuelle. On a de multiples réseaux qui nous permettent de trouver des produits avec un excellent rapport qualité prix. Selon moi, c’est l’écologie qui va être l’avenir de notre pays en terme économique et en terme de santé publique. À mon avis, nous allons retrouver des valeurs intrinsèques à notre espèce en terme de plaisir et de respect du vivant. Par rapport à cela, beaucoup de personnes nous barrent la route, mais nous sommes dans une démarche individuelle qui collectivement, se répandra…