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Emmanuel Hussenet rentre d’expédition et fait le point sur l’état des banquises

-OUI, contrairement à ce qui était attendu, l’été 2013 autour de l’océan glacial Arctique n’a pas suivi la tendance de 2012 et s’est révélé plus froid que ces dernières années.

Les températures relevées au nord du détroit de Smith, région polaire inhabitée et située entre la mer de Baffin et l’océan glacial Arctique, ont été de -1°C fin août, contre 1°C habituellement. La différence peut paraître minime, mais elle est décisive : la fonte estivale des banquises pluriannuelles a été interrompue deux semaines en avance. Ainsi, avec l’arrivée précoce de la neige et le retour du gel au nord du Groenland, la banquise a atteint son minimum dès le premier septembre. Sur l’ensemble de l’Arctique, selon le National Snow and Ice Data Center, la banquise pluriannuelle couvrait mi-septembre 5,1 millions de km2, contre 3,4 millions de km2 en 2012, qui est le minimum historique.

 

– OUI, le froid imprévu a entravé de nombreuses expéditions qui cherchaient à approcher les glaces polaires.

 

À bord du voilier Vagabond, l’explorateur et écrivain Emmanuel Hussenet n’est pas parvenu à dépasser le 79° degré nord et n’a pas atteint l’océan Arctique comme il l’espérait. Les glaces dérivantes, très abondantes, ont empêché l’explorateur de gagner l’extrême nord, mais lui ont permis de constater que la route commerciale du Pôle, que le Canada et le Danemark frontaliers cherchent à contrôler, est encore loin de s’ouvrir. Le brise-glace canadien Amundsen est le seul navire à avoir emprunté ce passage cette année.

 

– NON, ce constat ne remet pas en cause le réchauffement global de la planète.

 

Même si l’été sous les très hautes latitudes s’est montré bref et frais, la tendance reste au réchauffement : l’hiver 2012/2013 a été particulièrement doux, et les banquises annuelles étaient moins présentes que les hivers passés. Dans le village de Qaanaaq (Thulé), village le plus au nord du Groenland et du monde, les habitants affirment que la banquise s’est formée au mois de décembre, au lieu d’octobre habituellement, et, fait exceptionnel, qu’il a plu au mois d’avril, mois de l’année parmi les plus froids.

Ces constats, selon Emmanuel Hussenet, vont dans le sens d’une déstabilisation générale du climat, laquelle rend de plus en plus difficile tant les prévisions des scientifiques que l’adaptation des populations locales. Dans le haut Arctique comme ailleurs, les repères saisonniers vacillent. Le retour précoce du gel sous les très hautes latitudes ne signifie pas pour autant que l’hiver sera froid. Rien n’indique non plus que l’été 2014 ne sera pas marqué par une nouvelle fonte record des banquises polaires. Dans ce contexte climatique placé sous le signe du dérèglement, tout pronostic reste plus que jamais hasardeux.

 

– OUI, l’été frais constaté sous les très hautes latitudes est une bonne nouvelle pour l’humanité.

 

La présence de glaces permanentes sur l’océan glacial Arctique est essentielle pour le maintien des climats dans notre hémisphère et le dynamisme des courants océaniques. Cette bonne nouvelle ne doit pas nous faire oublier que la tendance des vingt dernières années va vers une réduction très nette des banquises pluriannuelles, en étendue mais aussi en épaisseur. Pour l’écrivain Emmanuel Hussenet l’heure n’est plus à la bataille de chiffres et à la polémique, car les paramètres qui interfèrent sur le climat restent très complexes et difficilement mesurables, mais à la recherche d’une action unifiée. Le dérèglement climatique est un symptôme parmi d’autres des mauvais traitements que subissent les écosystèmes dont nous dépendons. Le défi contemporain tient à une réconciliation de l’homme avec la nature et avec lui-même.

 

– NON, le passage du pôle Nord ne s’ouvrira pas demain à la navigation !

 

Les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest se sont révélés moins navigables en 2013 qu’en 2012. Cela n’a pas empêché la traversée du Nord-Est par un cargo chinois cet été, traversée très remarquée par les médias, mais la possibilité d’une ouverture prochaine de la troisième route de l’Arctique, le « passage de Nord-Nord » ou « passage du Pôle », reste à l’heure actuelle utopique. Cette route qui part du détroit de Smith et relierait la mer de Baffin à la mer de Behring, attise depuis de longues années les convoitises des transporteurs et des compagnies pétrolières, et stimule des projections que la nature a encore, jusqu’à présent, mises en échec. L’été 2013 contraint les industriels à reconsidérer temporairement leurs ambitions.