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Paysâmes : le point sur le projet

Il y a quelques mois, je présentais le projet d’édition Paysâmes, regard d’une femme – ex-paysanne – sur des femmes qui ont choisi la Terre.

Depuis cet article, le projet s’est poursuivi, encouragée par le soutien reçu : près de 150 livres réservés et 5000 € collectés, merci.

Point sur l’avancée du projet Paysâmes, alors que la sortie du livre s’esquisse. Et avec en sus – heureux imprévu – une mise en musique et un CD.

Les rencontres touchent à leur fin. Me reste encore une jeune femme à aller voir. Marie. Elle produit et transforme des aromatiques. Une reconversion. Le rendez-vous a été plusieurs fois décalé, trop à faire pour chacune, elle « débordée ». Dommage : j’aurai voulu l’interroger, à jongler entre son nouveau-né et ses impératifs de paysanne, j’aurai voulu la photographier à emballer, préparer ses livraisons. C’est cela qui m’intéresse précisément : rencontre la femme au travail, dans son quotidien. Je revendique une photographie terrienne : des images éclairées par les gris ou les bleus du ciel, avec comme sujet des femmes qui « font ».

Paysâmes est né d’une volonté : donner à voir celle qui nourrit les autres, celle qui manipule le torchon – celui qui sert à nettoyer le pis des vaches -, celle qui sue pour donner la vie à un veau, qui pleure quand il meurt, qui rit quand elle a donné la vie – avant de la reprendre, un jour. L’envie est là, simple : témoigner sans fard, sans mièvrerie, des réalités terriennes.

Paysâmes, ce seront 12 portraits de femmes (10 prévus). Il y a tant de visages, tant de filières, tant de savoir-faire. Le compte aura été dépassé parce que sur certaines fermes, ce sont des duos qui oeuvrent.

Plourha. Françoise et Maïwenn, la mère et la fille. Françoise, 40 ans de carrière derrière elle. Etudiante, elle décide de revenir à la terre. Elle épouse Laurent, lui aussi est fils de paysan – sa mère est une militante, syndicaliste, féministe. Le jeune couple se lance dans le kiwi. C’est osé : en 1980, personne ne connaît, les débouchés sont compliqués : « on ne savait pas faire ». Et le gel s’en mêle : les 2 ha de plantation sont anéantis. Le couple repart, se lance dans la tomate, « de pleine terre ! », précise Françoise – ce sera leur chance.

Le couple fournit la coopérative du coin. « C’était violent », confie Françoise : légumes refusés, eux pas payés. Le couple s’insurge – mais on ne divorce pas, en agriculture. En 96, las, Françoise et Laurent ne tergiverse plus : ce sera en bio ou rien. Ce sera le début d’un long bras de fer. Après avoir participé à la création d’une coopérative bio, le couple passe finalement en vente directe. Il s’en félicite, à l’heure où Maïwenn, l’ainée, a décidé de rejoindre la ferme. La jeune femme est consciente de sa chance, la ferme tourne. Mais se pose, pour elle, la question d’y trouver sa place et de l’ouvrir à d’autres.

Ploerdut. Audrey et Lauriane viennent, elles, de reprendre un élevage de laitières. 40 bêtes et l’ « ambition » de passer à 30. Détonnant dans une Bretagne où la tendance est à la concentration des fermes (cf. chiffre). Elles expliquent LA rencontre avec leur désormais prédécesseur qui les a menées à s’installer dans ce centre Morbihan. C’était un « ovni dans le milieu », qui avait décidé : mono-traite et système tout herbe. « La vache, c’est une barre de coup à l’avant, et un épandeur à l’arrière », rappelle Audrey. Les vaches font donc leur boulot ! Le système est performant – écologiquement et économiquement (chiffres à l’appui) –.

Alors, pourquoi n’est-t-il pas davantage connu, mis en œuvre dans les fermes ? Questions posées, légitimes, qui ramènent à ce qu’est l’agriculture d’aujourd’hui, à comment elle est enseignée et à celle qu’elle deviendra.

Les rencontres, avec des femmes qui réfléchissent leur métier – qu’elles aient derrière elle quelques mois d’installation ou toute une carrière – sont toutes riches d’enseignements.

Paysâmes, ce seront donc des portraits de femmes qui réfléchissent leur métier, des femmes bien de/dans leur époque. Et à noter que le livre se doublera d’un CD. Philippe Pastor a relevé le défi de mettre en musique des textes. De jouer à poser une voix d’homme sur des mots de femme. Car l’idée n’est pas de faire dans le féminisme mais dans l’humain.e., qu’on se le dise.

Johanne Gicquel

liens : https://fr.ulule.com/paysames/

www.johannegicquel.com

Comment soutenir le projet ? en relayant, en réservant le livre/le CD, en accueillant un événement à la sortie (dédicace, expo, concert).

Contact : oplurielle@johannegicquel.com




Paysâmes

Oui. Dis. C’est quoi l’agriculture de 2020, celle de cette époque 2.0, à la fois hyper et déconnectée, des contingences naturelles ? Qui sont-elles, celles qui font l’agriculture – ou plutôt nos agricultures ? Qui sont ces femmes qui ont choisi d’épouser la Terre – pour le meilleur et pour le faire ?

Alors, allons à leur rencontre. Vas-y, dis-moi, raconte-toi, raconte-moi. Elle se livre pour ce livre à venir : Paysâmes. Etre femme et paysanne – qui pense son métier -, ça appelle forcément un joli mot.

Elles, disons-les, je les connais, depuis quelques heures ou 20 ans, d’avant ou d’après que j’ai raccroché ma pelle de boulangère et laisser tomber les bottes de paille.

Envie de croiser le regard et le faire avec ces femmes paysannes, agricultrices, éleveuses, peu importe.

Elles ? Leurs épousailles avec la Terre ? Ce sont des histoires, d’amour ou de raison, le fruit des hasards ou de la réflexion. Elles sont en agriculture depuis hier ou depuis toujours. En bio, en durable, ou en rien. Par choix ou absence de choix – c’est emmerdant. Parce que. On l’expliquera.

Elles ? Ce sont qui. Aujourd’hui, j’ai envie de les dire comme ça.

Gene. Gen’œuf, qui fait des œufs – enfin, ce sont ses poules font les oeufs. Gene mire, numérote, étiquette et colise. Le labo à la ferme, c’est son domaine. Et puis elle livre, elle comptabilise. Et elle rit au marché. « Les marchés, c’est ma bouée d’oxygène ! ». Gene raconte qu’elle a été une des premières techniciennes porcs de la région. Rare, une femme dans ce milieu masculin, encore plus au début des années 80. Elle a écumé la campagne, de fermes en fermes, avec dans le coffre des produits phytos. Jusqu’au jour où ce n’a plus été tenable. Pas en phase avec ses convictions. Elle se décide à rejoindre son mari, devenu paysan – elle rêvait d’épouser un paysan ! Ils élèvent des chèvres jusqu’à « une » crise. Changement de production. Des poules donc. En bio, ça va de soi, même s’ils se gardent bien de s’en vanter.

Enora, elle, fait dans le cochon. Ça lui est tombé, pfff, presque comme ça, sur le coin du nez. Improbable succession d’événements qui l’a convaincue, avec son compagnon, de trouver une production qui permettrait de faire vivre leur lieu, un héritage de famille. Et c’est vrai que c’est beau, ce bâti, cette grange, ce granit, ces arbres et ces talus. La jeune mamani s’est donc lancée, engraissant 100 porcs. Des porcs blancs de l’Ouest et des conventionnels, qu’elle nourrit de ses céréales, produites sur ses terres, certifiées bio. Pourquoi pas bio, les cochons alors ? Parce que la jeune femme veut privilégier le local.

Elle interroge. Quel sens que d’importer des porcelets bio de 300 km ? Et de ne pas pouvoir travailler avec les voisins ? Peut-être un jour s’installera un naisseur en bio, dans cette Bretagne qui compte 7,5 millionsii de têtes de porcs. Enora l’espère. En tout cas, elle assume la finalité de son élevage. Oui, elle nourrit les autres de protéines animales – ici, on ne parle pas de « minerais » en parlant des bestiaux. Elle veut le faire au mieux son boulot et aller jusqu’au bout. Elle apprend la découpe de la viande avec des ex-éleveurs, qui ont accepté de partager leur savoir-faire. La jeune femme veut tout savoir faire pour savoir tout expliquer à ses clients. Exigeante.

Chez Christiane, l’attention portée à l’animal est la même. On est en centre Bretagne. Des mastodontes dans les prés. Surprenant dans le paysage breton. Imposants, cornus – très. Placides aussi, je l’espère, en passant sous le fil du champ.

Christiane a opté pour l’élevage des Highlands. Un ami lui avait fait découvrir la viande – et l’animal. Elle avait aimé, les deux. Et un jour où il a fallu décider de l’avenir de la ferme – qu’elle menait seule désormais -, elle a cherché une production rémunératrice, enfin potentiellement. Sûrement, çà aurait été trop simple. Elle a parié sur l’Ecossaise. C’était ça ou laisser mourir la ferme. Pari relevé.

Quelques crises du lait plus tard – c’est cyclique -, Christiane interroge sur le devenir des éleveurs, de tous les éleveurs. Alors, des vaches, oui, mais jusque quand dans les champs ?

L’éleveuse, pour sa part, avait considéré que le lait, c’en était fini pour elle.

D’autres estimaient alors (et continuent d’ailleurs de le proclamer) que la filière lait peut être rémunératrice. Et ils sont parvenus à faire leur beurre, au sens propre et figuré. Tant mieux. Leur système ? Celui du tout herbe. « Les vaches, c’est une barre de coupe à l’avant et un épandeur à l’arrière », rigolait très sérieusement Pochoniii, le chantre de l’agriculture durable.

Audrey, qui vient de s’installer avec sa compagne Lauriane, explique. Dans ce système où les charges sont minimées, les vaches se débrouillent : elles mangent au champ (ici, des prairies de 20 ans qui grouillent de sauterelles et de trèfles) et déjectent au champ. Trivial ? Peut-être. Oui et rentable. Restera à faire comprendre que dans un bilan comptable, le bénéfice n’est pas forcément proportionnel aux investissements. Les éleveuses mènent leur troupeau de 40 vaches. Leur ambition ? Passer à 30.

Elles, visiblement à peine revenues de leur installation, m’ont dit « avoir eu le cul bordé de nouilles » : une installation facile, simple. Décidément, rien n’est jamais pareil, pour personne.

Ça me touche, moi qui ai tant d’années à trouver des terres, qui ai dû me battre pour pouvoir prétendre à conforter une toute petite ferme de 4 ha. S’entêter ? Renoncer ? Foncer ? … Ça me chamboule. Pourquoi faut-il parfois que ce soit si rude ? Pourquoi trouver des terres se transforme-t-il en un chemin de croix ? Pourquoi alors qu’il faut renouveler les paysans qui partent massivement à la retraite ?

Et je pense à Aziliz, qui ne sait pas si dans ses Monts d’Arrée, terre que j’imaginais éloignée de ces enjeux de terriens, elle trouvera une parcelle bien à elle. Mais elle, elle s’en fout. Elle composera avec sa santé et tout le reste, demain. Elle se débrouille. Assez pour trouver de quoi nourrir ses chèvres – ses « amies » -, ses moutons et ses poneys. Chez elle, les animaux sont d’agrément et elle est sacrément fière de montrer les naines, les mottes et les marbrées. Sacré bout de femme, qui fait la transhumance, sous des yeux incrédules ou impatients.

Les terres en agriculture ? Un sujet brûlant. La consommation des terres, leur artificialisation : les enjeux sont multiformes. Et les appétits souvent voraces, entre ceux qui veulent plus pour en avoir juste toujours plus et les autres, les élus, ceux qui veulent leur zone d’activité ou commerciale.

Avec Cathy, le sujet avait été abordé quand j’apprenais la boulange, il y a 13 ans. « La Terre appartient à nos enfants, elle ne nous appartient pas », citait-elle. Je m’interrogeais alors beaucoup : quel statut choisir ? Acheter, louer des terres ?

Cathy, je la retrouve un matin chaud et sentant bon le pain, quand « tout est réuni pour laisser croire que c’est un métier cooool et facile ! », plaisante-t-elle. Elle revient sur son installation. Avec des copains et son mari, ils avaient réussi à monter leur activité en s’appuyant sur la création d’un Groupement Foncier Agricole. C’était novateur (l’un des premiers en France après celui du Larzac) et tout réfléchi : les copains de voulaient pas s’endetter au-delà du raisonnable. « La vie, c’est tout le temps, pas à la retraite ! », sourit-elle. 20 ans plus tard, le GFA vit encore. Il lui permet aujourd’hui d’envisager de lever le pied et de transmettre plus facilement.

Et d’interroger : « peut-être que les gens feraient davantage attention s’ils étaient seulement locataires de leur terres » ? Peut-être.

Je la regarde faire et je pars. Pas le temps. Je ne croquerai pas de son pain fait de blés anciens cette fois. Je reviendrai. Je n’ai pas plus de place ici pour vous raconter Stéphanie, aussi douce dans ses gestes que ses pains sont ronds, et Cilou, qui fait dans les petits fruits rouges. Rouges comme sa peau quand elle récolte au soleil de juillet. Et je vous dirai les joues rouges de Fabienne quand elle confiture. Bref, je vous raconterai, en images, en mots, leurs vies de Terriennes.

i Le jour où je la rencontre, elle garde – et compose – avec ses deux fillettes (confinement).

ii Source : Agreste – DRAF Bretagne – Memento 2019

iii fervent défenseur du système herbager, fondateur du CEDAPA (Centre d’Etude pour un Développement Agricole Plus Autonome), auteur entre autres de « les sillons de la colère », 2001.